C’est un livre à la couverture enfantine. Le contenu parle aussi d’enfance ; pas n’importe laquelle. Le Silence des oiseaux est le nouvel ouvrage de Dorothée Piatek, une plongée dans l’univers des centres de rééducation qui s’accompagne d’une bande sonore réalisée par Arm (Psykick Lyrikah).

Dorothée Piatek est auteur de livres pour jeunesse ; d’habitude on rencontre plutôt dans cette sphère littéraire des pirates, des princesses, des gnomes ou toute autre monde imaginaire. Ici aussi il y en a de l’imaginaire ; celui de Marcel, un enfant de 12 ans, orphelin, enfermé au bagne de Belle-Île, la Haute Boulogne, fermé seulement en 1977. Ironie du nom, ce bagne c’est l’enfer, c’est tout sauf une partie de château de sable à la plage. Plutôt les heures de l’isolement, de l’humiliation, de la violence, de l’enfermement, du soi-disant enseignement d’un « marcher droit et au pas » qui fut légion dans les centres de rééducation fermés. Des heures de torture, mentale et physique, après un jugement expéditif et sans recul.

« L’enfant Marcel Courtier, avait repris l’avocat, a besoin de règles, d’un cadre, d’une structure stricte dans laquelle il sera guidé et remis sur le droit chemin. »

Le fameux droit chemin donc, qui fut inculqué à la baguette, à la cravache, et qui n’a jamais laissé place à l’amour, ni à l’empathie, encore moins aux problématiques sociales dans l’ensemble de ces centres dont on a bien souvent tu la réalité. Dorothée Piatek a fait des recherches durant des années, et c’est avec un récit à la première personne, dans le regard du jeune Marcel, que le lecteur affronte le décor, les sanctions, la violence, et le ressenti. Car Marcel rêve, de la mère qu’il n’a pas eue, de liberté; Marcel dans sa souffrance pense à sauver l’un de ses camarades qui commettra l’irréparable. Au fil des pages, dans une écriture simple, il y a le visage d’Antoine Doinel dans Les 400 coups et de son échappée finale qui se dessine. Marcel, comme sur la couverture, a des oiseaux dans la tête.

« On m’avait rapporté que c’était bien le cinéma… Que les filles s’y laissaient embrasser comme on voulait parce que l’obscurité et les histoires d’amour les faisaient rêver. »

Accompagnant l’ouvrage, non pas un disque mais 10 titres à télécharger gratuitement sur le Bandcamp de Psykick Lyrikah. La plume du rappeur Arm s’est associée avec talent à celle de Dorothée Piatek pour lire quelques textes poétiques qui ponctuent le livre ou des extraits du roman. Mais il a également fait jouer sa carte de compositeur en signant l’ensemble des productions. Des ambiances lourdes, oppressantes où le temps semble s’égrener sur les parois d’un cachot comme pour « La cause du mal », mais aussi des ambiances marines. Et enfin des guitares lumineuses. Peut-être pour rappeler la beauté des mots et de la musique. Elle ne change rien, mais elle ouvre une porte. Pour respirer. Une collaboration réussie, réalisée avec talent et sensibilité, sur un sujet bien souvent méconnu. Et qui trouvera chez certains un écho à d’autres conditions, qui sont toujours actuelles.

Le site de Dorothée Piatek

La bande son en téléchargement sur Bandcamp

La Haute Boulogne de Belle-Île-en-Mer

Colonie pénitentiaire à partir de 1880 et un institution publique d’éducation surveillée (IPES) après 1945. Célèbre par la révolte, en 1934, d’une centaine de colons. Un soir d’août 1934, un des enfants ayant été roué de coups pour avoir mordu dans un morceau de fromage avant de manger sa soupe, une émeute éclate, suivie de l’évasion de 55 pensionnaires. Ce fait divers est suivi d’une campagne de presse très virulente, et va inspirer à Jacques Prévert son célèbre poème « La Chasse à l’enfant ». Il y dénonce la « battue » organisée pour rattraper les fugitifs, avec prime de 20 francs offerte aux touristes et aux habitants de Belle-île, pour chaque garçon capturé. Le lieu est aujourd’hui un centre de colonie de vacances et d’accueil de classes vertes.

Le Silence des oiseaux – 180 pages – paru le 15 mai 2014 aux éditions du Seuil