« Jacky au royaume des filles » : une comédie rythmée

Lundi 20 janvier, le réalisateur Riad Sattouf, rennais d’origine, scénariste et compositeur des principaux morceaux de la BO, est venu en personne promouvoir Jacky au royaume des filles, devant un parterre de spectateurs rapidement conquis. On aura pu découvrir en avant-première une comédie rythmée qui cache bien son jeu, puisqu’en fait, il s’agirait plutôt d’une réflexion sur la société d’aujourd’hui.

 

Avec finesse et une touche de sarcasme, R. Sattouf exerce son œil de sociologue-anthropologue rompu à ce type de mission à vocation comique : faire jaillir du quotidien l’insolite et faire apparaître le grotesque de nos us et coutumes.

Dans ce royaume surprenant règne, telle une reine-mère indétrônable, la générale Bubunne XVI, campée avec une majesté aussi claudicante qu’impitoyable par Anémone, très à l’aise dans ce rôle de dictatrice en uniforme (costumes fabriqués spécialement en Géorgie). Pour jouer sa fille, la colonelle Bubunne XVII, Riad Sattouf a choisi au prix d’un long casting de s’arrêter sur Charlotte Gainsbourg. Dans la vie, cette dernière est elle aussi la représentante d’une dynastie d’artistes majeurs et reconnus internationalement ; et le réalisateur a trouvé judicieux ce rapprochement entre la vie réelle de l’actrice (chanteuse, égérie de Lars von Trier, et dont tout le monde connaît la prestigieuse généalogie) et le profil de ce rôle de première dauphine d’un royaume pour le moins insolite, voire repoussant. Là bien sûr s’arrête la comparaison, puisque le royaume démocratique et populaire de Bubunne est plus une vaste satire de toutes les républiques aux mœurs contestables qu’une représentation fidèle du monde des peoples.

Tourné en Géorgie, dans un décor post-soviétique typique, le film tourne en dérision ces pouvoirs totalitaires, mâtinés de superstitions omniprésentes, de cultes de la personnalité archaïques et autres dérives liberticides. Dans ce monde grotesque (et un peu terrifiant), les hommes sont tenus au bout d’une laisse. Ils portent des « voileries », tuniques couvrantes à équidistance de la toge des moines bouddhistes, de la burka et de la cornette des nonnes. Les femmes sont armées, ont le pouvoir et harcèlent allègrement les pauvres et frêles mâles qui ne savent plus à quel saint se vouer… ou plutôt si, ils prient les poneys (élevés en Géorgie) et autres « chevalins », dans l’espoir d’une ascension sociale et d’une union heureuse avec une femme (puisque, en république de Bubunne, l’homosexualité est « blasphèmerie » et le culte des « chevalins » instauré, et là ne sont pas les moins comiques des ressorts de ce film qui propose de nos sociétés modernes un miroir déformant dont les effets, s’ils donnent à réfléchir sur nos a priori, nos hiérarchies et nos valeurs, sont toutefois très souriants).

La réussite de ce film tient aussi sûrement beaucoup à la pléiade de talents qui sont regroupés. Les seconds rôles sont à l’honneur : Didier Bourdon, en mari veule, oncle horrible, et père-poule confondant d’obséquiosité, excelle ; de même que Noémie Lvovsky en marâtre apparatchik, William Lebghil en fils un rien gâté, Michel Hazanavicius en rebelle viril aux slips moulants ou Valérie Bonneton en chérife abusive. Bref, vous l’aurez compris, ce deuxième long-métrage de Riad Sattouf (après Les Beaux Gosses tourné à Rennes, sorti en 2009) est d’une vaste causticité, d’une vraie drôlerie, d’une grande originalité et d’une insolence réjouissante. Mais ce n’est pas tout, il propose aussi un univers graphique qui ne sera pas sans rappeler celui des Monty Python (et notamment Brazil).

Cela dit, n’est-ce pas la moindre des choses quand on sait que Riad Sattouf est issu du monde de la bande-dessinée (on se souvient tous de son formidable héros Pascal Brutal – voir ci-contre – ou de ses chroniques sur la vie secrète des jeunes parues régulièrement dans Le Canard enchaîné), monde où il s’agit de savoir croquer les personnages, de camper des ambiances et où, à coup de crayon, l’impossible et le merveilleux deviennent possibles et prennent vie.

En salle à partir du 29 janvier 2014.

Jacky au royaume des filles – Un film de Riad Sattouf – Avec Vincent Lacoste, Charlotte Gainsbourg, Didier Bourdon – Durée : 1h30
 

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