Ne t’arrête pas de courir : un récit de Mathieu Palain sur le sport de compétition et la prison.
Élevé du côté de la Seine-Saint-Denis et de l’Essonne, Toumany Coulibaly a des prédispositions pour l’athlétisme. Le jour, il s’entraîne, à haut niveau, jusqu’à devenir champion de France du 400 m, encadré par des coachs couverts de médailles – comme la sprinteuse Patricia Girard. La nuit, il court aussi, poursuivi par la police à laquelle lui et ses complices tentent d’échapper après des braquages plus ou moins foireux.
C’est donc au parloir de la prison de Réau, en Seine-et-Marne, que se rencontrent l’athlète et le journaliste, lui aussi originaire de Ris-Orangis. Mathieu Palain est fasciné par l’univers carcéral, le sens de la peine qu’on y purge et les injustices expéditives et décisions arbitraires qui y conduisent. Lorentxa, une amie d’enfance de l’auteur proche des mouvements indépendantistes basques, a été condamnée à 32 de réclusion ; son compagnon est incarcéré en Espagne ; « elle demandait à bénéficier d’une assistance médicale à la procréation, ce qui suscita suffisamment de remous dans l’administration pénitentiaire pour qu’on saisisse l’Académie de médecine. La question était presque philosophique : en tant que femme incarcérée, a-t-elle le droit de faire un enfant ? (…) J’appris alors qu’une femme pouvait donner la vie en prison et rester en cellule jusqu’à ses dix-huit mois. Je fis une demande de reportage et, quelques mois plus tard, j’étais à Rennes, devant le plus grand centre de détention pour femmes (…) le bâtiment en hexagone me faisait penser à un couvent, ou à un hôpital psychiatrique. » (p. 263-264) L’auteur va aussi s’intéresser au cas du boxeur américain Dewey Bozella enfermé 26 ans à Sing Sing pour un meurtre qu’il n’a pas commis. Ce sera l’occasion d’un reportage pour la revue XXI. Pour ce qui est de Toumany, Mathieu Palain va s’en rapprocher, se lier avec lui au fil des parloirs et des échanges, et comprendre quels éléments de l’enfance et de la vie de Toumany l’ont amené à voler, à braver la loi, à mettre sa carrière en danger, à saboter sa vie de famille, à céder aux tentations délinquantes, quelles étaient ses failles, quels étaient ses traumatismes, quelles étaient les violences qu’il subit (notamment au Mali où, adolescent intrépide, il passa quelques mois et fit l’expérience de la geôle) et quels étaient les manques que Toumany cherchait à combler en amassant des butins futiles (qu’il redistribuait avec générosité).
Avec Ne t’arrête pas de courir, Mathieu Palain livre donc un documentaire, plein d’humanité et d’empathie sur le destin hors du commun d’un sportif au potentiel exceptionnel, doublé d’un éclairage sur cet univers carcéral qui peine à régler convenablement les travers et les problèmes de la société tant les réponses, foncièrement punitives, apportées par la prison à des questions qui relèvent de la psychologie individuelle ou de l’amour défaillant, sont bien souvent complètement à côté de la plaque.
Ne t’arrête pas de courir, récit de Mathieu Palain, Éditions Collection Proche, Paris 2023, 384 pages, prix Interallié, 8,50 €.