La chair est triste hélas, d’Ovidie : une déclaration d’amour enflammée, pleine de colère et de justesse, vis-à-vis d’une liberté retrouvée, chèrement conquise.
« Quelle honte d’arrêter de baiser quand on est encore baisable ! C’est certainement le pire des affronts. Si le sexe ne me manque pas, ma démarche me confronte cependant à ce questionnement douloureux : moi qui ne baise plus, ai-je encore de la valeur au regard des autres ? Mes gratifications professionnelles et universitaires n’ont aucun poids, comparé aux pipes que je suis censée tailler à un homme qui ferait de moi un signe extérieur de réussite à exhiber en société. » (p. 29)
« La sortie de la sexualité n’a pas fait de moi une asexuelle. Le désir n’est pas mort, il n’est pas non plus en sommeil (…) Simplement il n’est plus dirigé vers les hommes. » (p. 30)
« Jamais on ne m’a dit que la joie procurée par la masturbation pouvait égaler celle d’un plaisir partagé. » (p. 31)
Connue pour avoir été actrice et réalisatrice dans le monde du X, Ovidie a eu l’occasion d’expérimenter une vaste expérience quant à la sexualité. Forcément, elle a un rapport aux corps (le sien et celui des autres) qu’auront nourri les cas de maltraitances, de sacrifices, de violences, de négligences, qu’elle aura pu endurer ou rencontrer durant sa carrière pornographique – puis par la suite. Ovidie est aussi une militante féministe qui ne manque pas de punch, d’arguments ni de suite dans les idées – sans doute que ses études de philosophie, les documentaires critiques qu’elle a co-produits et la carrière universitaire qu’elle a désormais embrassée l’y aident.
« Quand je songe à toute cette douleur encaissée, je ne peux m’empêcher de penser à mon amie Natacha dont le compagnon lui giflait les seins et le visage pendant les rapports sexuels, sans qu’elle ose lui demander d’arrêter (…) Oui c’est ce genre de choses que les femmes se disent entre elles. Elles ne parlent ni de la longueur de votre queue ni de votre endurance, messieurs. Elles en sont à se persuader d’avoir trouvé le prince charmant pour peu qu’il ait la délicatesse de ne pas les enculer par surprise ni de les baiser durant leur sommeil. » (p. 32)
Cet essai est donc à la fois une diatribe contre les comportements masculins irrespectueux et une bouée de secours lancée avec empathie et avec force à toutes les personnes empêtrées dans des situations scabreuses, avilissantes.
« Il nous faut alors reconstruire notre imaginaire. Pour ma part, pendant ces rituels solitaires, j’ai fini par ne plus penser qu’à des femmes ou à des hommes transgenres. Et là, dans cet espace mental qui n’appartient qu’à moi, je me sens maintenant libérée d’un poids.
Me masturber en pensant aux hommes, je trouve que c’est encore leur faire trop d’honneur. » (p. 35)
Sa parole porte donc avec force, dénonçant les violences que nombre de femmes acceptent, intègrent, subissent tant la culture patriarcale est hégémonique, dramatiquement prégnante et insuffisamment questionnée – même si, en montrant que ce monde n’est pas tolérable plus longtemps et que des alternatives sont souhaitables, des discours ou des ouvrages porteurs de valeurs émancipatrices ou l’affaire Gisèle Pélicot fissurent cet état de fait.
Fidèles à ses aspirations premières révolutionnaires, Ovidie prend acte des conclusions auxquelles ses observations, ses lectures, ses rencontres et ses réflexions l’ont menée : en se retirant du marché « hétérosexuel » et en lui préférant, libre et sans complexes, la solitude et les amours platoniques ou féminines.
« C’est ce qu’aura apporté #MeToo, entre autres choses, non pas un bûcher des violeurs en place de Grève, mais la prise de conscience du fait que, sans l’ébruiter, nous étions reliées par un traumatisme commun, une violence ancestrale subie de génération en génération (…) Après ce raz de marée de témoignages, notre perception du monde en a pris un coup et nos fantasmes sont devenus boiteux. Difficile de ne pas avoir la nausée… “Comment continuer à désirer nos bourreaux ?” ai-je quelque part entendu. C’est une bonne question. » (p. 40)