Le livre de la sage-femme sans nom, de l’Américaine Meg Elison

Le livre de la sage-femme sans nom, de Meg Elison : l’utopie au cœur de la dystopie.

 

533x800_Meg-ElisonThe Book of the Unnamed Midwife, initialement paru en 2014 et qui recevra le Philip K. Dick Award l’année suivante, bénéficie d’une salutaire réédition dans la collection « Rechute » (dédiée à des textes prestigieux de la science-fiction engagée) des si souvent judicieuses éditions Goater. Ce fabuleux et bouleversant roman décrit un monde soumis à une épidémie terrifiante, qui rend notamment les nouvelles naissances quasi impossibles et condamne à mort les femmes enceintes. Comment s’en sortir ? Comment survivre ? En fuyant ? Mais où ? À qui faire confiance, dans ce monde en ruine et dépeuplé ? Comment faire société ? Où trouver un répit, où se replier ? De rares survivants se fient à leurs instincts les plus bas, capturent des femmes et les asservissent. D’autres créent des communautés, plus ou moins sectaires, plus ou moins risibles. D’autres tendent des pièges. L’héroïne narratrice, dont on a retrouvé le journal, traverse les épreuves et les obstacles, se déguise, camoufle son genre féminin, s’endurcit, aide celles qui croisent sa route. La moindre erreur, dans ce contexte infernal, peut s’avérer fatale.

« Elle n’arrivait pas à se rappeler clairement des évènements. Son cœur battait la chamade, et elle revivait la terreur de ces moments, mais elle ne différenciait pas le souvenir d’un jour de chaos d’un autre. Elle ne parvenait pas à séparer les évènements ni à comprendre comment quelque chose d’aussi soudain et définitif était arrivé. Elle était désolée à chaque fois qu’elle y repensait. Elle se donnait des tâches à faire et se concentrait sur le présent. Examiner le temps dans une autre direction que le présent ne lui était pas profitable. » (p.72)

Tout au long de ce roman, la cruauté des humains cohabite avec l’ingéniosité et les capacités de résilience de certain·es. L’enjeu du Livre de la sage-femme sans nom de Meg Elison n’est rien d’autre que la survie de l’humanité, laquelle, bien naturellement, est difficilement envisageable sans les femmes, sans leurs corps et leur capacité à enfanter. Le corps des femmes est au cœur des interrogations qui irriguent cette dystopie. Du sort qui leur est réservé dépend en fait l’avenir et la qualité de vie de l’humanité toute entière.

« Jodi est là avec moi depuis une semaine. Elle veut vraiment rendre service. Très industrieuse, très propre. Ne gâche pas la moindre bouchée de nourriture, et elle fait son lit tous les matins. Pourtant, elle est inutile pour discuter. Simple + enfantine = ennuyeuse. N’a presque pas d’imagination, et elle refuse de croire tout ce qui dépasse son expérience. » (chap. 6, p. 228)

Très puissant, très prenant, ce livre se dévore. On est en totale empathie avec Dusty-Karen-Jane, héroïne sublime qui révèle toute la puissance de son humanité au cours d’une épopée cataclysmique. Le livre de la sage-femme sans nom est une fantastique ode aux sages-femmes, ode à la vie, ode à l’émancipation vis-à-vis du genre, doublée d’une critique féroce des clans religieux et des virilismes toxiques avec, en prime, en arrière-plan, la remise en cause de nos modes de vie grégaires qui conduisent à des pandémies planétaires et à la fragilisation de nos sociétés et des individus. Avec des scènes très fortes (notamment l’accouchement final), des personnages secondaires pittoresques, charismatiques, attachants ou lamentables, du rythme et de quoi nourrir nos réflexions existentielles, cette pépite de la collection « Rechute » se situe dans la lignée de La servante écarlate de Margaret Atwood, de La route de Cormac McCarthy, voire de L’année de Grace  de Kim Liggett, où les modes de survie en temps de crise ultra aiguë sont abordés avec un brio remarquable.

Le livre de la sage-femme sans nom, de l’Américaine Meg Elison, traduction par Ludivine Fournier, couverture de Claire Malary coll. « Rechute », éditions Goater, Rennes, à paraître en octobre 2024, 404 pages, 19 €.

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