Dans son dernier roman, Frédéric Paulin nous plonge au cœur d’un événement à la répression brutale, dont les échos se font encore entendre aujourd’hui : le sommet du G8 à Gênes en 2001.
Et ce n’est pas pour rien que la dédicace en début d’ouvrage est annotée : « Pour Carlo Giuliani, pour Vincenzo Vecchi, pour tant d’autres… » ; car si Carlo Giuliani est mort sous les coups de la répression cette année là, Vincenzo Vecchi lui, s’est retrouvé rattrapé par celle-ci dans un petit village du Morbihan en 2019. Toujours menacé d’extradition vers l’Italie et d’incarcération, l’affaire reste actuellement au point mort¹. Mais revenons au récit, celui du livre, qui nous ramène donc vingt ans en arrière en arrière. Tout d’abord dans un court passage en juin 2001 à Göteborg en Suède dans la manifestation face à un conseil européen.
« Des explosions résonnent, des sirènes beuglent, des hurlements de joie ou de peur rebondissent sur les façades des immeubles, emplissent les rues, emplissent les cœurs. Plus loin, un McDonald’s est la cible de la foule. Les pierres brisent les fenêtres et la marquise. Les panneaux de bois censés empêcher toute intrusion craquent sous la pression des béliers improvisés. «
Le ton est donné : la fumée, le brouillard et les coups seront partie prenante de l’histoire. Le lecteur commence ensuite à suivre depuis Rennes (mention incluse de la rue de Saint-Malo ou du bistro de la Cité) Wag et Nathalie, mais aussi le décor politicien de l’époque (mention incluse à Chirac et Berlusconi). Et, bien sûr, celui des milieux militants, de la LCR aux black bloc en passant par Attac (mention aux indics incluses). Et c’est tout cette galerie de personnages et la description des mouvements divers et variés (préparatifs d’un côté comme de l’autre) qui commencent à donner le sel d’un roman policier (à la différence que nous en connaissons plus ou moins le dénouement). Les chapitres, un par jour précédant le rassemblement, se développent, constituant alors une sorte de carnet de bord des coulisses.
« Mercredi 18 juillet. Alors voilà où en sont les choses à Gênes, dit l’Italien : des dizaines de milliers de manifestants venant de toute l’Europe sont en train de se rassembler. On en attend plus de 300 000. »
Dans les coulisses, la peur, les relations humaines, les rapports de pouvoir. Puis arrivent les 20, 21 et 22 juillet. La prise d’assaut de banques, l’espoir d’arriver à faire reculer les flics. La mort d’un homme à terre. Et la nuit à l’école Diaz², presque l’ultime point d’orgue où la violence se fait palpable (sang un peu partout et gaz étouffants inclus).
« Au bout de longues minutes, l’air toujours acide devient un peu plus respirable. Les prisonniers se taisent, tentent de rester immobiles. Le temps n’est plus une donnée certaine. Il se passe peut-être une heure, peut-être cinq. Seuls les cris et le bruit des matraques sur les grilles rythment aléatoirement la journée. »
Avec La Nuit tombée sur nos âmes, Frédéric Paulin souligne un changement, un changement répressif et une violence qui émaillera les 20 années suivantes, jusqu’à aujourd’hui avec le mouvement des Gilets jaunes (comme il l’explique bien mieux que nous dans cette vidéo). Un véritable roman noir, noir à la hauteur de son titre. Un roman pour ne pas oublier malgré la nuit.
1. Voir le site du comité de soutien à Vincenzo Vecchi.
2. En 2012, Daniele Vicari y consacrait un film, Diaz un crime d’État.