Quand elle ne détourne pas avec humour des couvertures de livres, Clémentine Mélois les écrit. Elle publiait ainsi cette année Dehors la tempête. Un régal textuel, à grignoter tel un rat de bibliothèque.
Lorsqu’on chronique un livre, il faut recenser ses bons et/ou mauvais points. Une fois n’est pas coutume, cette chronique débutera par un ressenti totalement subjectif à son encontre. Et après tout, c’est peut-être bien de cela dont parle Clémentine Mélois dans son ouvrage : le rapport de chacun au livre, à la lecture, et à sa bibliothèque, qui peut parfois pencher dangereusement et, comble de l’horreur, abîmer la couverture d’un volume de la Pléiade (ouf, Clémentine n’en possède que quatre).
« Le glissement de terrain qui venait d’emporter la bibliothèque avait ainsi entrainé la chute de tous mes livres. Ils gisaient dans la pièce, certains béant dans une position pas naturelle. Des pages cornées étaient à craindre, peut-être même pire. » p. 97
Dès le début je me suis sentie à l’aise avec Clémentine; comme moi, elle n’aime pas boire du vin dans une tasse à thé, elle a voué une certaine fascination pour les époux Krafft*, elle aime la mer et plus particulièrement la Bretagne, elle aime faire des listes, elle cite Robert Filliou, elle a lu Charlie et la chocolaterie, La potion magique de Georges Bouillon de Roald Dahl, ainsi qu’Hulul** d’Arnold Lobel, elle aime imaginer la vie des gens lors de ses voyages en train, elle aime la poésie et laisse traîner beaucoup de choses autres que des livres sur les étagères de sa bibliothèque, et enfant, elle a gagné, comme moi, un prix d’écriture (à la différence que Clémentine Mélois c’était avec Gallimard, moi pour un prix de poésie d’une petite bourgade de province). Mais surtout, Clémentine Mélois fait une déclaration d’amour à la littérature tout en y mêlant comme si de rien n’était des références populaires, des anecdotes personnelles, avec une bonne louche d’humour. Comme calculer le degré d’alcoolémie du commissaire Maigret en fin de journée, mélanger une publicité Ricoré avec les héros de Tolkien, ou sauver des livres dans un vide-grenier, perdus entre « une Barbie aux cheveux emmêlés et un appareil à raclette ‘comme neuf très peu servi’ ».
« Toutes les vies valent-elle la peine d’être racontées ? Y aurait-il un intérêt à lire mon dérisoire à moi, mes propres souvenirs ? Ou cela ferait-il comme les soirées diapositives de jadis, où un public captif se retrouvait forcé de regarder les vacances au Club Med des voisins ? » p. 78
Par son écriture, Clémentine Mélois nous invite aussi à rejoindre le « fauteuil de l’écrivain », celui qui travaille avec « un stylo à pompe sur un sous-main en maroquin vert » ; elle nous livre ses influences (Melville, Perec, K. Dick, Rimbaud, Balavoine), mais surtout ses interrogations capitales : « Qu’est-ce que l’Art ? » (p. 106) ; « Est-ce que Le Clézio a déjà été coincé à la gare de Saint-Pierre-des-Corps ? » (p. 80) ; « Qu’est-il arrivé à Captain Iglo ? » (p. 29). Avec des allers-retours entre références littéraires et fragments du quotidien, entre un monde englouti qui ressurgit parfois telle une madeleine de Proust et un vocabulaire contemporain, Clémentine Mélois assoit la force de la lecture, la possibilité du livre d’être (conserver les mentions utiles) : un refuge / une évasion / un amusement. Mais surtout, sa capacité à nous émerveiller (question à laquelle la technologie est bien incapable de répondre, voir page 127) dans un monde totalement désenchanté ; nous inviter à profiter de notre statut d’adulte pour s’autoriser à faire ce que nous ne pouvions enfant (« Où est passée la joie d’acheter des Malabar avec la monnaie du pain ? » p. 118). Et, nous embarquer dans des histoires qui contiennent tout : « Je voudrais de belles phrases et des baisers enflammés. Je voudrais un feu de cheminée, je voudrais des chaussons fourrés et du suspense (…) je voudrais des larmes et que tout ça sente l’encre, l’océan, la sueur, le sous-bois et la fumée. Donnez-moi tout de suite un livre, et à la rigueur une biscotte pour grignoter avec ».
Il est 10 h 59, j’achève cette chronique habillée d’un sweat gris molletonné et de chaussettes en laine que mon père portait plus jeune, tout en sirotant du café dans une tasse où il est écrit « Eine Zitronekönig », don de ma voisine du rez-de-chaussée tout en écoutant une radio locale. Je m’apprête à ranger Dehors, la tempête dans ma bibliothèque Ikea® en me demandant si Clémentine Mélois écrit déjà un autre livre. J’ai hâte.
Dehors, la tempête – Un livre de Clémentine Mélois – Grasset – 192 pages – Février 2020
* Suite à la projection lors de mon année de CE2 d’un documentaire sur ces volcanologues célèbres, j’ai voulu durant un temps avoir cette carrière ; réaliser les risques encourus plus tard m’a fait recouvrer la raison pour ne pas trop m’approcher des volcans en éruption, je préfère bouquiner enroulée dans un plaid, c’est moins dangereux.
** Livre retrouvé avec un bonheur exquis et non retenu lors du désherbage d’une bibliothèque rennaise ; je le chéris régulièrement en faisant des bosses avec mes pieds sous la couette.