La Revue de Seize ayant disparu des radars de L’Imprimerie, remplacée par les playlists pour truand·e·s, il convenait tout de même de finir 2020 en beauté avec une sélection de sorties qui contiennent plusieurs mots clés : boom bap, place aux femmes et, surtout, Ni dieu ni maître.
■ Pumpkin & Vin’s Da Cuero – Abysses repetita
« Rap de iencli ? Non rap de ien-clitoris »
L’automne aura été marqué par le beau retour de Pumpkin, toujours en compagnie de Vin’s Da Cuero pour un troisième album qui plonge au fond des Abysses repetita. Claviers. Basse. Beat. Et l’album démarre avec « Fougue » avant de balancer quelques uppercuts sur « Méchante petite femme ». Sur des prods toujours aussi léchées et qui semblent coller comme un écrin pour le flow de Pumpkin, c’est en espagnol qu’elle fait danser les mots sur « Redrum ». Évoquant avec « Pisser sous la douche » les vains efforts individuels écolo tant que les gros pollueurs poursuivent leurs entreprises de destruction massive, Pumpkin reste attachée à sa fibre féministe avec le très beau « Sables mouvants ». Avec un coup de cœur totalement subjectif pour « Quart d’heure américain » ; le hip-hop a ses raisons que les oreilles savourent.
11 titres – 23 octobre 2020 – Mentalow music
■ Sorg & Napoleon Maddox – We the people
Un rappeur américain et un producteur français, Sorg & Napoleon Maddox, déroulent depuis plusieurs années leurs multiples influences piochées de part et d’autres de l’Atlantique. De grosses influences qui brassent autant le jazz et la funk qui font sautiller le titre « Sweat », que l’électronique s’invitant sur « Game over ». Timbre chaud et un flow précis qui sait s’adapter à différentes ambiances, le rappeur au blaze d’empereur se fait donner la réplique par JP Manova sur le 1ᵉʳ titre « Danger ». Un six titres exigeant qui s’achève sur les belles teintes soul de « Road less traveled ». Nous attendons la suite en dehors des sentiers battus (et sur scène, si possible).
6 titres – 30 octobre 2020 – Sans Sucre Records
■ S.one project
Cela faisait un moment que nous attentions le S.One project : une compilation regroupant uniquement des rappeuses femmes, portée par Dj S.One et Dj Metodkilla. Si l’album part de l’Hexagone, il invite Los Angeles avec la présence de la rappeuse Reverie. Au micro donc des noms qui ont déjà commencé leur percée comme Fanny Polly (« Parole de gamine »), et d’autres plus inconnus comme Lylice (« Triste sort ») ou Ryaam (« Tourner la page »). Le tout sur des sons plutôt classiques, scratches et boom bap à l’appui : jamais dans la tendance mais toujours dans la bonne direction, le projet étant défendu par la Scred. Ce qui est sûr à l’écoute de ces 16 titres et faut-il encore le rappeler : pas la peine d’être blindé de testostérone pour prendre un mic. Ce que la technique de KT Gorique ne contredira pas avec « Ring the alarm ».
16 titres – 20 novembre 2020
■ Skalpel X Raan
« J’ai faim d’histoires, de romans noirs, de littérature, de putes de clochards (…) j’ai faim de tout ce qui vous fait peur » J’ai faim
L’infatigable Skalpel revient ici en compagnie du producteur finistérien Raan (de l’écurie Tamahagané Beats pour ceux qui suivent) avec 14 titres trempés dans son parcours militant, une marmite de soul, et un combat actuel. Sur un son qui l’est moins. Skalpel fait, comme il le souligne en souriant, du « rap de vieux », ou du « rap de chat, chien remballe ta laisse, le théorème de la Hoggra pas celui de Thalès » rappe-t-il sur « Géométrie variable ». Ses positions, elles, ne le sont pas. Toujours campé dans des bottes de « Sales gosses », prêt pour une « Antifa war », déroulant les images comme les « Tatoo » sur sa peau, racontant son stress de la ville sur « Urban », il y développe des rages qui expliquent pourquoi il est « Impossible d’abandonner ». Impossible d’abandonner le combat et aller « Jusqu’au bout », le titre final qui résonne, en prod et en texte, comme une clôture de ralliement pour aller « au bout d’la rue la vie, au bout du chemin, en bas d’la tour, dans le hall le bout du bled (…) le son se propage partout ». Propageons déjà celui-là.
14 titres – 20 octobre 2020 – R2an recordz
■ L1consolable X Nada – Capitalist advisory
« Allergique à tout style de chef, de Macron à Poutine, J’attends ce jour où le prolétariat leur barrera la routine » Ni Dieu Ni Maître
Ennemis du capipitalisme, ce disque est fait pour vous ! Lancez l’album, lisez votre « Tract 01″ et avec l’1consolable répétez plusieurs fois : « Ni dieu ni maître ». Ce mantra, cette « folie des indomptés », pourra ainsi vous permettre de faire en sorte que « Les lendemains chanteront », et vu la gueule de 2020, ce serait un moindre mal. C’est un pavé de 7 titres aux ambiances soul funk pour raconter la lutte, de quoi se chauffer les pieds avant d’arpenter le bitume. De balancer quelques punchlines à la face de ceux qui gouvernent pour soulager (symboliquement) la colère. L1consolable et Nada dévoilent avec ce Capital advisory une énergie sonore, textuelle et militante qui fait du bien. La colère face aux images où l’on voudrait casser son écran. Respirez. Ce ne sont que des explicit lyrics.
7 titres – 23 novembre 2020
■ Monsieur M – Le reflet de ma noirceur
« Prends ça comme un pavé dans la mare, sache que si le paquebot coule c’est qu’des tarés tiennent la barre »
Vous n’avez pas le moral ? Vous avez du mal à dormir ? Une nausée régulière ? Nous ne savons pas si c’est rassurant mais vous n’êtes pas seuls. Monsieur M, rappeur du côté d’Angers, n’est pas franchement un joyeux trublion. Le mec qui « rappe fort mais parle peu » vient donc dérouler le reflet de sa noirceur, de son errance dans ce qui paraît être un tunnel sans fin ou un puits sans fond. Alors il y a forcément une plume qui écrit « À la tombée du soir », quelques envolées avec une prod plus légère sur « Viens on s’casse d’ici », gratter quelques lignes à propos du foot (« Amoureux du ballon rond »), d’alcool avec l’enchaînement cause-conséquence des titres « Passe-moi l’sky » et « La gueule de bois ». Des ambiances qui paraissent bien loin des « Rêves d’enfance » ; et pourtant, derrière ce miroir fêlé aux relents de scratches houblonnés apparait souvent la rage. Parfois un rai de lumière. Si Monsieur M ne pourra « jamais être heureux tant que des gens crèveront de faim », il n’est « aucunement dépressif » et espère vivre le plus longtemps possible. Nous le lui souhaitons.
18 titres – 24 novembre 2020 – Extreme rancune prod
■ 13’12 contre les violences policières
Alors que la loi sécurité globale fait de nombreux remous avec ses articles (toujours plus de répression, encore moins d’images, et on a la flemme de lister ses articles délirants), le combat contre les violences policières continue, ici par le biais d’une compilation de 33 mc’s tous unis derrière la même bannière d’une exigence de justice. Le disque sortira donc le 13/12 à 13 h 12, simple question de timing. Au micro VII, E.One, K.oni, Kaïman Lanimal ou Tideux pour ne citer qu’eux. Vous pouvez continuer à soutenir le projet par ici.
■ Al’Tarba : Le Cabinet des curiosités
Inutile de présenter Al’Tarba pour les amateurs de rap français. Signant des prods pour Swift Guad ou Hugo TSR, ce nouveau confinement a été l’occasion pour Al’Tarba de se lancer dans un projet collaboratif intitulé Le Cabinet des curiosités. Chaque semaine à compter du 13 novembre, une collaboration avec un autre beatmaker ou des rappeurs, comme en tout dernier avec Aguirre et Prométhée pour le titre « Frères Perry ». Le tout premier avait lieu avec Mounika pour « Le jour » et son joli dessin dans le clip, et on ne s’en lasse pas.
■ Livres (et jeu !)
Vous êtes confinés et en rade de lectures ? Ça tombe bien, plusieurs ouvrages devraient vous allécher. Tout d’abord Les liens sacrés signé Manu Key de la Mafia K’1 Fry, collectif incontournable du rap français. Un livre autobiographique paru aux éditions Faces cachées explorant l’axe Orly-Choisy-Vitry et qui retrace de manière personnelle cette aventure. Mais vous êtes plutôt rap américain ? Rendez-vous avec Kendrick Lamar de Nicolas Rogès paru chez Le mot et le reste. Plus de 400 pages où il est bien sûr question de musique, mais aussi de société états-unienne avec le portrait de la ville de Compton. Chez la même maison d’édition, nous vous renvoyons également vers Pas là pour plaire de Bettina Ghio qui fait une rétrospective appréciable de portraits de rappeuses, de Diam’s à Casey.
Si vous avez l’esprit joueur, le site l’Abcdr du son après la parution du livre L’Obsession rap lance carrément un jeu de cartes sous forme de quizz. 800 questions de différents niveaux qui devraient mettre à l’épreuve vos connaissances sur 30 ans de rap français. Un jeu qui souhaite relier old school et new school, pour les amateurs du genre qui devront peut-être élargir leurs connaissances et leurs oreilles pour devenir un king du « rap game ». Toutes les infos par là.
■ Le clip : Stav « Fusée »
Pour clôturer cette Revue de Seize au son suffisamment lourd, un peu de (fausse ?) légèreté, ou tout du moins un décollage en compagnie de Stav. Son pop et glace à bâtonnet, nous aussi on a envie de devenir des acteurs connus et de nettoyer les plages en fumant des clopes. On a pris la fusée, on danse dans notre salon, c’est mieux que rien, et on ira sauver « la planète avec un certain style américain ».