La dernière bd de Liv Strömquist viens de paraître,toujours aussi pertinente, cette fois plus axée sur l’essor du développement personnel en matière de ‘gestion’ de ses propres sentiments. Pour l’accompagner, plusieurs albums sortis à la rentrée traitant des erreurs et répétitions de l’histoire humaine : 300 000 ans pour en arriver là de Grégory Jarry et Otto T. et Depuis la nuit des temps de Mehdi Melkhi, qui, sur un sujet proche, suggèrent que tout est affaire de choix.
La rose la plus rouge s’épanouit – Liv Strömquist
L’autrice suédoise Liv Strömquist poursuit son analyse du sentiment amoureux, du genre et de la société, thèmes qu’elle avait déjà traités dans les albums Les sentiments du Prince Charles (2016) et I’m every woman (2018). Ici il est question de narcissisme, illustré au départ par l’exemple de Leornardo di Caprio accumulant les conquêtes, toutes invariablement des mannequins pour maillots de bain. L’autrice s’interroge alors sur l’absence de sensibilité de l’acteur, et en profite pour extrapoler en analysant les sentiments amoureux dans notre époque contemporaine où l’amour de soi semble être la priorité.
Accompagnée par les théories de la sociologue israélienne Eva Illouz, elle remet en perspective nos effusions sentimentales, les comparant aux romans du XIXe. Un de ses chevaux de bataille est la remise en question du modèle de l’auto-suffisance affective prôné par le développement personnel. Elle lui oppose une idée plus mystérieuse d’abandon et de dépense gratuite, d’un espace qu’il est au fond contre-productif de vouloir rationaliser.
L’album est drôle et passionnant, croisant littérature, biographies, philosophie, sociologie et pop-culture et même mythologie pour apporter un éclairage complexe et nuancé sur le sentiment amoureux, sa genèse et son mystère.
La rose la plus rouge s’épanouit de Liv Strömquist, éditions Rackham, paru en octobre 2019, 22 €
300 000 ans pour en arriver là – Grégory Jarry et Otto T.
Pendant des centaines de milliers d’années, l’humanité des chasseurs cueilleurs a vécu au rythme des saisons. Puis, petit à petit lors des 100 00 dernières années, l’invention de l’agriculture et de l’élevage a permis aux populations de faire des réserves, de se sédentariser et d’accumuler les richesses. Bien entendu cette accumulation a essentiellement profité à une classe dirigeante, instrumentalisant la religion à ses propres fins pour justifier sa domination sur les peuples et les inégalités qui en découlent. Et si les sciences économiques n’étaient qu’une nouvelle religion, au service de la même aliénation ?
Aujourd’hui, cet accroissement exponentiel de production de richesses nous conduit à une destruction massive de la biodiversité. Et si, depuis l’agriculture notre système ne faisait que suivre une pente le menant à l’effondrement ? Cette bd au ton militant croise les données de la physique et de l’histoire pour nous convaincre que l’aube de ce que nous appelons ‘civilisation’ a été en réalité le début de notre perte.
300 000 ans pour en arriver là de Grégory Jarry et Otto T, éditions Flblb, paru en septembre 2019, 21 €
Publication en lecture libre sur le site du journal Lundi Matin
Depuis la nuit des temps – Mehdi Melki
Depuis la nuit des temps s’opposent deux tendances au sein de l’humanité : ceux qui veulent ce que tout les monde veut (la majorité) et ceux qui sont un peu en dehors, vivant leurs vies et leur préférences en fonction de leur désir propre. Ces derniers sont mal vus, et on a tôt fait de rappeler ces originaux à l’ordre à l’aide de la force et de l’opprobre public. Pourtant, nombre des inventions qui seront généralisées, voire des tendances esthétiques, au départ décriées par la masse, deviendront plus tard la nouvelle norme. Un peu de tranquillité de gagnée pour ceux qui avaient défriché cette autre façon de voir les choses ? Pas vraiment, puisque leurs nouvelles trouvailles seront à leur tour décriées dans une fuite en avant sans fin. Une solution : aller inventer complètement autre chose, et laisser les autres jouir de leur servitude volontaire. Un joli album poétique et métaphorique résumant bien des situations.
Depuis la nuit des temps de Mehdi Melkhi , éditions Rackham, paru en 2019, 17 €
À la Vie, à la Mort – Theis, Anheim, Guerrive
Peste noire et guerre de 100 ans : la mort raconte son business florissant du XII au XVe siècle ! La Revue dessinée et La Découverte remettent le couvert avec un nouveau volume de l’histoire dessinée de la France, ou comment aborder de grands épisodes de façon ludique et humoristique en associant spécialistes et dessinateurs. Ici ce sont les historiens Valérie Theis et Étienne Anheim qui plongent au cœur du Moyen Âge ; et c’est avec humour que la grande faucheuse raconte son périple.
Un regard pointu et éclairant qui croise celui de l’illustratrice Sophie Guerrive (qui vient de sortir aux éditions 2024 un nouveau volume de l’ours Tulipe que nous vous recommandons sans hésiter) : couleurs vives et monceaux de cadavres sont là pour vous emmener à la rencontre d’une époque souvent malmenée. Une réussite à mettre entre toutes les mains !
À la Vie, à la Mort : Des Rois Maudits à la Guerre de 100 ans de Valérie Theis , Étienne Anheim, Sophie Guerrive, La Revue Dessinée / La découverte, octobre 2019, 128 pages, 22 €
Mandragore – Mandragore
Fondatrice des éditions rennaises L’Œuf, Mandragore illustre aujourd’hui le roman dont elle tire son pseudonyme : Mandragore, une œuvre fantastique de l’écrivain allemand Hanns Heinz Ewers (1871-1943).
Selon une légende médiévale, la mandragore est une plante qui pousse au pied des gibets, née de la terre fécondée par la semence des pendus. Dans une ville des bords du Rhin, au début du XXe siècle, le conseiller Jacob Ten Brinken, aidé de son neveu Frank Braun, décide de créer une mandragore humaine… Celle-ci va devenir maléfique…
Mais l’édition indépendante a un coût et l’autrice propose une collecte pour précommander votre album (et aider celui-ci à voir le jour). C’est par ici !
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WOBBLIES – Un siècle d’agitation sociale et culturelle aux États-Unis
Cette bd coordonnée par Paul Buhle & Nicole Schulman revient sur l’organisation syndicale internationaliste One Big Union qui en 1905 privilégia la lutte des classes et l’action directe. Un mouvement retranscrit ici par plusieurs noms de la bande dessinée underground américaine.
Octobre 2019 – 308 pages – 26 € – Nada éditions
Dédales – Charles Burns
C’est dans son style facilement reconnaissable que le dessinateur Charles Burns revient avec une série qui devrait comporter 3 ou 4 tomes pour explorer les rapports entre inconscient et représentation. Dédales, une aventure dont le héros, jeune réalisateur de films, s’inspire de ses rêves pour des scénarios. L’auteur sera l’invité d’honneur du prochain festival d’Angoulême.
Octobre 2019 – 64 pages – 22,50€ – Éditions Cornélius
Fichtre – Alberto Montt
Fichtre regroupe plus de 150 cartoons à l’humour complètement déjanté publié par le dessinateur Alberto Montt installé au Chili et publiés régulièrement sur son blog. Jeux de mots, situations incongrues, de quoi rencontrer des super héros au bistro ou des légumes saugrenus.
Octobre 2019 – 160 pages – Éditions Ça et là
Mon fils ma baston – David Snug
Comment s’en sortir en tant que père seul avec un gamin (qu’on prend pour un gars alors que c’est une fille) ? David Snug est de retour avec son humour caustique qui vous fera rire jaune ou grincer des dents avec joie.
Septembre 2019 – 64 pages – 15 € – Éditions Même pas mal
