L’Imprimerie Nocturne est allée à la rencontre des acteurs majeurs de La Plume et le Brise-Glace, l’occasion de discuter avec Lucio Bukowski, Anton Serra et Oster Lapwass juste avant leur entrée sur scène au foyer de l’INSA le 18 mars. « C’est la première fois qu’on a du rap en tête d’affiche et on ne s’attendait pas à avoir autant de monde », nous confie juste avant une des membres organisatrices de la soirée. De bon augure ! Nous voilà installés confortablement sur le canap’ autour de bières, clopes, dictaphones, décaps’ (évidemment) et micros branchés… dont un qui attirera l’attention d’Anton à l’attention de nos confrères venus aussi poser leurs questions : « J’aime bien les trucs semi-pro, c’est comme une seconde jeunesse! » s’exclame-t-il. Les présentations sont faites. Enjoy !
« Moi, j’aime bien leur montrer qu’on sait rapper, pour de vrai ! »
Anton Serra
- C’est votre première scène sur Rennes ?
Anton Serra : Oui, c’est la première à tous les trois.
Oster Lapwass : En mode collector ! (rires)
- La scène, c’est quelque chose d’important pour vous ?
Anton Serra : C’est super important ! C’est un lien direct avec le public.
Lucio Bukowski : Absolument, ça reste un plaisir ! Il y a une vraie communion avec les gens. C’est aussi une manière d’interpréter tes morceaux différemment car en live tu ne fais jamais tes morceaux de la même façon. Après c’est comme Lapwass, j’aime bien le travail d’écriture et de studio, d’être dans ma bulle.
Anton Serra : Moi, j’aime bien leur montrer qu’on sait rapper, pour de vrai !
Lucio Bukowski : Ce n’est pas comparable le studio et le live après. Le live c’est souvent l’anarchie niveau son, les conditions ne sont pas optimales, il y a une mise en difficulté, t’as pas le droit de te planter. C’est un bon exercice.
Oster Lapwass : On a fait de méchants concerts devant 40 personnes et d’autres super nuls devant 500 !
Lucio Bukowski : C’est vrai que les concerts les plus chauds se sont déroulés devant 300 personnes et les concerts ratés devant 1800 personnes…
Anton Serra : Il y a un truc impersonnel avec 1800 personnes aussi.
Lucio Bukowski : On est plus à l’aise quand on fait des choses plus « entre nous », c’est plus intimistes, c’est vrai.
Anton Serra : Il faudrait faire plus résidences !
- Même si vous êtes déjà super productifs ? Surtout toi Lucio (5 projets sortis en 2015, 1 déjà en 2016).
Lucio Bukowski : C’est une envie, ça vient ça sort. Je ne me retiens pas des choses, j’écris beaucoup donc je sors beaucoup de choses.
- Est-ce que t’arrives à prendre du recul, savoir si « ici c’était bon » ou « là ça aurai pu être mieux » ou tu t’en tapes complètement ?
Lucio Bukowski : Non, je m’en tape. Je ne sais pas, toi par exemple dans la vie t’as des plaisirs…
Anton Serra : Imagine que le mec te répond non (rires) !
Lucio Bukowski : Ouais, ce serait le type « Je n’ai aucune passion, je me sens seul » (rires). Mais sinon, c’est comme le mec qui est passionné par la course. Après le boulot, il va courir et il ne se dit pas comment les gens vont prendre le fait qu’il va courir. Non, moi si j’avais encore plus de moyens, si j’avais un studio chez moi, je sortirai un album par mois.
« Je n’ose pas sortir des trucs si je ne suis pas vraiment sûr. »
Oster Lapwass
- La musique, c’est ta « vie » ?
Lucio Bukowski : Ce n’est pas ma vie. Ma vie c’est ma famille mais c’est une des choses qui meublent mon quotidien. Je le fais tous les jours au même titre que Yann (Oster Lapwass) produit tous les jours.
- (En s’adressant à Anton Serra et Oster Lapwass) C’est la même chose pour vous ?
Anton Serra : Ah non, moi c’est cyclique. Il faut que je vive, que je laisse vivre la musique pour mieux la raconter. J’ai besoin de couper. J’ai jamais fait mes devoirs moi. C’est comme ça vient, au feeling. Après chacun son rythme, sa manière d’appréhender son exutoire. Lucio, il bûche, il bûche et franchement chapeau ! C’est toujours de la qualité, toujours il m’épate, là ils vont même sortir un album. Ils ne stagnent jamais, ils découvrent d’autres sonorités.
Oster Lapwass : Je n’ai jamais fait aussi vite par contre !
- Justement, vous êtes très différents sur le rythme de « travail » ?
Oster Lapwass : Personnellement, je n’ose pas sortir des trucs si je ne suis pas vraiment sûr. J’ai besoin d’avis.
Anton Serra : Par exemple, sur le prochain album, il [Oster Lapwass] me demande d’écrire dans un mois, j’ai dit non car je n’avais pas d’inspi’. Mais il n’y a pas de contraintes. Dire non, c’est aussi être pro. Faut surtout pas que ce soit tiède, autant se le dire direct quand on ne peut pas.
- À l’Imprimerie, nous avons sorti un article représentant votre album La Plume et le Brise-Glace sous l’angle d’un match de boxe parce qu’il y a de nombreuses références au sport. C’est le hasard ou c’est vraiment une source d’inspiration pour vous ?
Lucio Bukowski : À part le basket, la boxe et l’alpinisme dont il y a de nombreuses références dans « Pinacle », le sport ce n’est pas vraiment une influence pour moi.
Anton Serra : Après va faire une scène dans la vie et tu vas voir, ça te fait les abdos ! On met quand même en avant des sports intellectuels comme les échecs comme dans le morceau « Les lions sont solitaires ».
- Comme le fameux « coup du lion » (célèbre coup aux échecs).
Anton Serra : Ouais, exactement !
Oster Lapwass : Le sport ne m’influence pas tant que ça dans ma musique non plus.
Anton Serra : Mais c’est intéressant les interprétations. Ça me fait penser aux profs de français qui commentent des textes. Et là tu mitonnes en disant « ouais ouais, ça c’est fait exprès ! » (rires)
- Lucio, tu parlais de « Pinacle ». Il y a l’impression que le clip reflète bien l’état d’esprit de l’album. Comme si c’est une première prise, c’est fluide, ça rigole, ça ne se prend pas la tête. C’était le cas aussi en coulisses ?
Lucio Bukowski : Ce n’était pas une première prise déjà, on a pas mal répété.
Anton Serra : C’est un véritable savoir-faire, mais c’est vrai qu’on a toujours déconné pendant les prises. On fait toujours ça comme ça.
Oster Lapwass : C’est plus une dédicace à ce truc-là ouais.
Lucio Bukowski : Le morceau s’y prêtait aussi. « Pinacle », c’est un morceau sans thème précis, il y a deux cents thèmes dans chaque couplet. C’est un morceau sur nos vies toutes simples, il n’y avait pas besoin de grand-chose. C’est comme une histoire qu’on aurait racontée à quelqu’un autour d’une table.
« La différence avec d’autres crews, c’est qu’on n’a rien calculé d’entrée de jeu. » Lucio Bukowski
- Parlons de votre crew. Avec l’Animalerie, vous avez réussi à bâtir votre réputation. Comment expliquez-vous cette notoriété en dehors de la capitale parisienne ?
Anton Serra : Notre force, elle vient de Lyon. Il n’y a pas de choses qui sont vraiment sorties même s’il y en a plein qui ont essayé. Nous, c’est vrai qu’on est en retrait de tout ça et ça été bénéfique pour nous et pour moi.
Oster Lapwass : On a mis du temps à percer quand même !
Anton Serra : Quand tu vois qu’à Paname, on est « pseudo-reconnus »… ça me fait plaisir mais faut rester lucide. C’est arrivé sur le tard, pas à 20 ou 19 ans. Aujourd’hui à 35 ans, on est des gaillards !
Lucio Bukowski : La différence avec d’autres crews, c’est qu’on n’a rien calculé d’entrée de jeu. Certains crews sortent déjà un premier album où ils pompent ici, ici et là.
Anton Serra : Ou alors ils cherchent des feat connus, ils invitent tout l’Hexagone !
Oster Lapwass : Sauf que les feats ça se paye ! Nous, on le fait jamais !
Lucio Bukowski : Ils s’imaginent que si tu ne signes pas en distrib’ ou en maison de disque, tu ne peux rien faire. Alors qu’on a sorti nos 5 premiers albums mélangés, on a envoyé des enveloppes nous-mêmes avec les adresses des gens…
- Le morceau « Les lions sont solitaires », c’est que vous êtes en train de nous décrire ici.
Oster Lapwass : Ouais c’est ça ! Exactement.
Anton Serra : Au début, on y est allé gentil et personne ne nous appelait. Vu que tu n’as pas de renommée, personne ne t’appelle. Mais le talent, on l’avait déjà bien avant tu vois.
Lucio Bukowski : C’est ce que je voulais dire, sans aucune prétention. Si on a mieux marché que d’autres crew, c’est peut-être parce qu’on est tout simplement meilleurs qu’eux. En France, t’as pas deux Anton Serra, deux Ethor Skull, deux Kacem Wapalek, etc., par rapport à d’autres crews parisiens où on peut se dire « Ah ouais, toi tu rappes comme 15 mecs que je peux citer ». Dans l’Animalerie, chacun a développé sa zik que ce soit Missak, Illenaz pour ne citer qu’eux. Il y a des personnalités vraiment différentes.
- Et ça donne quoi pour les futurs projets ?
Oster Lapwass : On en a mille !
Anton Serra : Lucio et Oster ont fait un truc très lourd, ça pète sa mère !
Lucio Bukowski : Ce sera un album. Je prends plus de plaisir à bosser sur des albums, j’ai envie de sortir du physique. L’EP c’est bien mais ça coûte trop d’argent de sortir cinq morceaux en cd…
Anton Serra : Tu disais le contraire il y a pas longtemps.
Lucio Bukowski : Oui, mais après ça circule autrement, c’est du téléchargement. J’avoue que depuis Kiai Sous La Pluie Noire et notre prochain album, je travaille avec Modulor, un label qui peut sortir du vinyle, et ça ça me botte ! Il y aura aussi des feats, notamment un avec Nikkfurie de La Caution.
- (À cet instant, il y a eu un « oooooh » intérieur dans nos têtes)
Anton Serra : En septembre, on sort un album tous les deux avec Oster. Eddy Woogie a aussi sorti un EP (dispo ici), il est top !
Lucio Bukowski : Ilenazz a un album tout produit par Yannou qui sort en avril-mai aussi.
- (Le réveil sonne enfin) Yann ? Mais c’est breton !
Oster Lapwass : Oui, mais c’est seulement ma mère qui en est originaire. Je suis métis ! (rires)
Anton Serra : Il n’a pas d’appartenances !
Lucio Bukowski : Il est citoyen du monde Yannou !
- Et un nouvel album en commun avec vous trois ?
Anton Serra : Pour ce qui est de sortir un nouvel album ensemble, on ne se pose pas la question !
Oster Lapwass : Moi, je ne pensais même pas que j’allais sortir un album en mai ! Donc on n’est pas pressé…
Anton Serra : Il faut du temps quand même !
Lucio Bukowski : Peut-être un beau matin…
Anton Serra : Mais ce qui était cool, c’est que dans La Plume et le Brise-Glace, il y avait de l’aventure là-dedans, ça compte !
- Que peut-on vous souhaiter pour 2016 ?
Lucio Bukowski : Des sous (rires). Sinon pas grand-chose, la vie me contente.
Anton Serra : Ça me va aussi.