Merci patron ! de François Ruffin : la lutte des classes comme on l’aime, drôle et fine à la fois.
La France est en crise, et c’est plus particulièrement bien sûr les franges les plus précaires de la société qui en pâtissent – paraît-il… car à l’Imprimerie comme de bien entendu, nous ne connaissons de la précarité que des on-dit. La France d’en bas accumule griefs et ressentiments à l’encontre de celle d’en haut. La fracture sociale est pour ainsi dire institutionnalisée. Le chômage est endémique, surtout dans le Nord de la France, du côté de Poix-du-Nord, où les usines de textile ont fermé, laissant nombre d’ouvriers sur le carreau – tout en enrichissant les actionnaires.
C’est dans ce contexte tendu, de luttes de classes, et de solidarité entre les classes possédantes et les masses laborieuses dépossédées de leur outil de travail mise en défaut, que s’inscrit le propos – et le combat – de François Ruffin. Celui-ci, avec habileté, s’applique à démontrer qu’une grande figure symbolique du capitalisme, telle que Bernard Arnault (ci-contre), n’est pas inatteignable ; que le modèle économique promu par ce milliardaire féru de luxe (son groupe possède Dior, Kenzo, Guerlain, Veuve Clicquot Ponsardin, etc.) comporte des failles. Et c’est par ces interstices que Ruffin et ses complices de Fakir s’engouffrent joyeusement pour venir en aide aux Klur – dont la situation, suite à un licenciement massif produit par les politiques de délocalisation, s’est gravement détériorée. Lui et les Klur vont jouer un bon tour au multi-milliardaire et à ses sbires. Ce sera aussi l’occasion de montrer clairement certaines accointances entre les hommes de pouvoir – aux convictions fébriles – et les hommes d’affaires – aux grandes fortunes indécentes.
Les liens de collusion qui unissent la main armée de l’État républicain (en d’autres termes, les CRS) et les oligarques (« les grosses têtes » pour reprendre l’expression de Serge Klur) sont eux aussi mis en lumière*. Et c’est sans doute cela le plus pertinent – et le plus effrayant – dans cette farce ridiculisant de façon si réjouissante les « puissants » de notre actuelle société – « puissants » qui sont néanmoins dans l’incapacité, malgré leurs moyens illimités et leurs réseaux d’influences stratosphériques, de contrer l’arnaque fomentée par F. Ruffin. D’une certaine manière, donc, et d’une manière certaine, l’État protège le capital, de toutes ses forces – forces qui semblent dès lors ne plus être au service du peuple souverain, ce qui explique pourquoi celui-ci** plébiscite ce film utile et salutaire, foncièrement et nécessairement révolutionnaire. À défaut de la très attendue redistribution équitable des richesses par l’État, l’époque a bigrement besoin de Robin des Bois de cette trempe !
* À l’occasion de l’assemblée générale des actionnaires du groupe privé LVMH, un impressionnant cordon sanitaire de CRS est ainsi déployé pour protéger cette réunion annuelle de l’incursion de « révolutionnaires » indélicats, qui auraient voulu en troubler la quiétude…
** Plus de 75 000 spectateurs, en 2 semaines d’exploitation, qui applaudissent comme un seul homme à chaque séance, en dépit du peu de salles allouées à la diffusion de cette charge contre l’un des individus les plus riches du pays (patrimoine évalué à 37 milliards de dollars, ce qui incitera d’ailleurs celui-là à demander en 2012, avant de se rebiffer, certes, la nationalité belge, plus favorable que la nôtre, peut-être, en matière de fiscalité et de successions), en dépit aussi de la censure autour de ce film exercée par certains médias nationaux.