Snob. Le mot claque sous la langue. Fabrice Gaignault publiait l’an passé aux Éditions Le Mot et le Reste un Dictionnaire de littérature à l’usage des snobs. Il ne s’agit donc pas d’un manuel pour être encore plus « snob que tout à l’heure », mais bien un ouvrage consacré au monde littéraire… à destination des snobs. Ce que vous êtes déjà, cela va sans dire.
Pour partir en vacances, rien de plus chic que d’emmener un livre qui pourra faire de vous en un éclair un snob. À vous le mépris de ceux qui ne connaissent pas Le Club des longues moustaches ou ne peuvent disserter avec vous sur la métafiction durant des heures. Vous pourrez hausser les épaules tel un dandy lorsque quelqu’un vous interrogera sur Félix Fénéon. Alors pour vous documenter sur la question, rien de tel qu’une lecture de ce Dictionnaire; entre snobs, vous pourrez facilement vous reconnaître, un exemplaire de Tristan Corbière sous le bras et une serviette de bain négligemment posée sur l’épaule.
Snob, vous avez dit snob ?
Début XIXe en Angleterre, la révolution industrielle pousse les fils de la bourgeoisie dans des écoles prestigieuses, jusqu’ici fréquentées par les nobs (issus de la noblesse donc). Le mot évolue, passe dans le langage courant dès 1848, est repris par Marcel Proust, puis dans un essai de Nancy Mittford en 1954, mettant en opposition les U et les non-U (upperclass versus ceux qui n’en sont pas), et notamment dans le cadre du vocabulaire. Pour une histoire un peu plus détaillé face à notre condensé, consultez la fiche wikipedia prévue à cet effet.
La préface de Fabrice Gaignault tend à « définir » son objectif, et à rappeler que le snobisme littéraire n’est ni « une science exacte » et qu’il ne s’agit pas de « faire œuvre didactique et pontifiante ». Le point essentiel à retenir est que le snob litt (en abrégé c’est plus bat) « ne supporte pas que vous en sachiez davantage que lui dans son domaine de prédilection ». Il faut donc être pointu, subversif, creuser parmi les oubliés de la littérature, chercher des personnages excentriques. Et ce dictionnaire ouvre un horizon assez large de lectures, essentiellement du XXe siècle, qui pourraient bien rejoindre votre bibliothèque secrète de snob. Qui est forcément meilleure que celle d’un autre snob potentiel.
« Pringué, Gabriel Louis. Auteur du très copieux Trente ans de dîners en ville, hallucinant passage en revue d’une existence toute entière dévouée aux ronds de jambes et aux baisemains dans la première moitié du XXe siècle. »
L’avantage du dictionnaire, outre sa fonction de ressource documentaire, est qu’il permet une lecture discontinue si le cœur vous en dit; et ça tombe bien puisque le snob ne fait rien comme tout le monde. Il suffira donc d’ouvrir au hasard l’ouvrage, et commencer la lecture d’une fiche; celles-ci référencent de nombreux auteurs, mais également des courants, ou des éléments essentiels de certaines plumes. Tiens tiens, page 62 « Cocaïne. (…) Instrument de travail originaire de Colombie très apprécié des écrivains pour ses facultés à faire couler plus facilement les idées et l’encre qui va avec. Très répandue dans la vie et les romans de Aguéev, Bret Estaon Ellis, Jay McInerney (…) ». Rassurez-vous, si vos sinus sont fragiles, vous pourrez vous reporter à la lettre H pour Haschich littéraire.
Mais vous trouverez également avec surprise des auteurs que vous connaissez déjà, snob qui vous ignorez, comme Lovecraft ou William Burroughs; décrits de manière plutôt littéraire, format mini-biographie avec des détails qui souvent ne manquent pas de sel, la liste serait trop longue ici pouir parler des nombreuses découvertes réalisées au fil des pages. De quoi donner envie de (re)partir à la rencontre des esthètes décadents tels Joris-Karl Huysmans (mais pas Oscar Wilde, absent du dictionnaire, sûrement déjà trop mainstream), d’aller décortiquer les artistes qui ont gravité autour de la Beat generation, et devenir vous aussi un happy few* qui s’interroge sur la construction désormais en marche de la « post-post-poésie » ou sur la pertinence des auteurs choisis pour le Prix de Flore.
Vous l’aurez compris, ce Dictionnaire de littérature à l’usage des snobs, déjà publié en 2007 et ici réactualisé, est une sorte de Panthéon offrant un panorama débridé et éclectique de la littérature, en compagnie d’excentriques mal coiffés qui ont déplacé la raie centrale de l’écriture là où bon leur semblait. Un livre à déguster comme il vous plaira, puisque si vous tentez d’imiter un snob pour l’être à votre tour, un autre snob aura déjà fait mieux. Ne reste plus qu’à vous trouver un (bon) libraire.
Le site des Éditions Le Mot et le reste
Dictionnaire de littérature à l’usage des snobs – Un livre de 224 pages signé Fabrice Gaignault.