Ce n’est pas toi que j’attendais : une bédé de Fabien Toulmé sur les idéaux fracassés.
C’est la bédé dont on parle en ce début d’automne.
Il s’agit des aveux d’un jeune père, un peu bourgeois-bohème sur les bords, désormais ingénieur urbaniste, qui a roulé sa bosse et son ironie en Guyane, en Guadeloupe, au Bénin, au Brésil, et qui reconnaît, humblement, qu’il craignait depuis toujours d’avoir un enfant trisomique 21. Or c’est le sort que lui ont réservé le destin (qui s’y connaît en ironie) et le hasard des gènes, qui transforme la naissance de Julia en cauchemar éveillé. Ce coup du sort est difficile à digérer. Heureusement, le sort n’est pas que cruel. Julia est très entourée par sa maman Patricia, par sa grande sœur Louise (qui n’a pas les mêmes a priori que son père sur la trisomie 21), puis par des psychologues adroits, des experts ès génétique, des collègues de boulot compréhensifs, des amis qui s’efforcent de vivre joyeusement, des passants qui trouvent des mots consolants, des psycho-motriciens, des orthophonistes, des associations de parents d’enfants handicapés, des cardiologues et tout le toutim… La vie reprend le dessus et par le biais de ce témoignage-confession-reportage au pays des paires de chromosomes bizarroïdes, on comprend que les drames du quotidien sont essentiellement alimentés par nos peurs – plus ou moins inconscientes et irrationnelles, et plutôt plus que moins. Car à y bien réfléchir, le réel tel qu’il est est plutôt réjouissant – dès lors, bien entendu, qu’on ne le perçoit pas à travers le prisme rapetissant de la peur et du qu’en dira-t-on, mais à travers celui, kaléidoscopique et jubilatoire, de l’amour. Car c’est de ça dont il s’agit. En d’autres termes, les images douloureuses du passé, les petits traumatismes enfouis – le papa de Julia avait été effrayé dans sa prime jeunesse à la vue de handicapés mentaux dans le parc d’une institution accueillant ceux-ci – deviennent quasi insignifiants lorsque vient le temps de prendre ses responsabilités dans le présent.
Nous autres humains avons ce don de transformer le poids du réel, ce bâtard, en quelque chose de plus supportable. Et c’est sûrement ce que précisément voulait démontrer Fabien Toulmé avec cette autobiographie en couleurs, pudique et émouvante, avec cette tranche de vies bousculées.
PS : On trouvera un agréable prolongement à ce zoom sur la trisomie 21 avec cette chanson tendre et cinglante de Duval MC :