En cette période de quasi deuil pour le football rennais après cette nouvelle fessée infligée au SDF* par les joyeux Guingampais en finale de la Coupe et retransmise fièrement sur grand écran, sur l’esplanade du général De Gaulle où l’ambiance était de plus en plus morose au fil des minutes, il est bienvenu de faire un zoom sur la place, dans la littérature locale, de ce sport populaire.
Dans Hollywood-Plomodiern de Stéphane Grangier, paru chez Goater noir en avril, on suit les embardées, les dérapages déliquescents et les pertes de contrôle d’un duo improbable qui se retrouve réuni dans une fuite éperdu vers l’ouest, à bord d’une voiture de sport dans le coffre de laquelle il y a un encombrant cadavre. Le propriétaire de ladite Porsche, Yannick Le Ster, est un joueur du SRFC**. Son comparse, dans cette épopée à travers la Bretagne déglinguée (mais néanmoins réjouissante, l’épopée), est un SDF dont la débrouillardise et le goût de la défonce sont les principales armes pour survivre. Entre cet attaquant poisseux du Stade Rennais et ce pouilleux un brin machiavélique s’établit donc une complicité de circonstance qui n’est pas sans rappeler les thèmes développés dans Les Fugitifs de Francis Veber. Ils ont un corps à planquer et la rousse au cul. Leur union fait la farce. Dans ce polar tissé de bons mots caustiques, les héros sont des tocards. Yannick Le Ster a des ennuis avec son club, avec sa carrière qui s’embourbe, avec son ex-femme, avec les règles élémentaires du Code de la Route et ainsi de suite. Sa vie s’effiloche à un point tel que pour cet artiste du ballon rond qui traverse une très sale passe, le seul salut plausible semble pouvoir émaner d’un crevard sans-abri – si ce n’est les abribus où il se réfugie d’ordinaire faute de mieux. C’est dire, même si paraît-il on a souvent besoin d’un plus petit que soi, l’ampleur de la déchéance.
Hollywood-Plomodiern de Stéphane Grangier est donc un parfait petit road-movie où l’on comprend que la gloire est fragile et qu’il y a intérêt à avoir de la ressource (tant morale que physique) quand les choses s’emballent et que tout part en cacahouète. Âprement et sans mégoter sur les traits d’esprit, Stéphane Grangier rend ainsi hommage aux vertus de la démerde et au sens de la pétulance animant certains hères déclassés qui ne tiennent debout que par miracle. Au passage, c’est un peu sa marque de fabrique, il égratigne les idoles et les establishments de notre époque qui, très largement, abondamment et sans mesure, valorise les divertissements spectaculaires et les industries du loisir et de la publicité, lesquels brassent un pognon monstre et sont, de la part d’une majorité grégaire en bien des points souvent grotesque, les objets (légitimes ?) de toutes les ambitions et de toutes les envies.
Dans Le clan des poissards, de Jeff Sourdin, paru aux éditions La Part Commune, en 2012, on s’intéresse à un quatuor d’amis. Le narrateur s’attache principalement aux pas de Léon Trotterie, dit « Trotski » – un surnom en forme de programme politique qui s’avère n’être qu’un clin d’œil amusant. Il vit près du stade de la Route de Lorient et est fan inconditionnel de l’équipe locale dont il connaît toutes les légendes et le maigre palmarès sur le bout des doigts. C’est un gus ordinaire. Un Français moyen qui tente de s’en sortir à coup de petits boulots. On va le voir grandir (comme on voit grandir Adèle, dans le film d’Abdellatif Kechiche Palme d’or à Cannes en 2013, qui passe de lycéenne militante et survoltée à professeur des écoles), trouver un job enfin fiable à la bibliothèque de Villejean, rencontrer l’amour dans un troquet et même devenir père.
C’est bien écrit. Il y a des élégances, quelques remarques bien senties, quelques analyses assez justes sur les difficultés, quand on est jeune et plein d’utopies charmantes, de s’insérer dans notre société. Mais pour ma part, de même que j’ai été déçu de voir qu’Adèle devenait institutrice, une jeune femme rangée bien sous tous rapports en quelque sorte, quoique un peu mélancolique, ça m’a vaguement chiffonné de voir que Jeff Sourdin offrait à son quatuor de poissards un destin très banal, où chacun, tant bien que mal, aspire à reproduire un modèle social très normé (une femme, un boulot, des amis, des enfants auxquels on transmet son amour pour les footballeurs du Stade Rennais)… une sorte d’invitation à laisser tomber ses primes idéaux, à se conformer au bon sens populaire, à copier sur la génération précédente, à garder le lien avec cette dernière, à ne pas tout remettre en question, à accepter avec sobriété l’humaine condition et son gros lot de désillusions, de passions farouches qui s’émoussent (ou pas), de compromissions (parfois fécondes) et de résignation.
* Stade de France pour les non-initiés.
** Stade Rennais Football Club pour les vraiment pas initiés du tout [que nous redirigeons de ce pas vers Supporters du Stade rennais, ouvrage de Benjamin Keltz publié aux Éditions du Coin de la rue (192 pages, 2012) et Galette-saucisse, je t'aime !, par Benjamin Keltz (encore lui), paru aux Éditions Goater et à celles du Coin de la rue (128 pages, 2013].
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