Guérilla des FARC, l’avenir a une histoire : un documentaire de Pierre Carles

Guérilla des FARC, l’avenir a une histoire : un documentaire de Pierre Carles pour mieux appréhender les ressorts de la conflictualité, en Colombie, qui a conduit à un vaste mouvement de résistance, armes à la main, pendant plus d’un demi siècle, pour défendre les intérêts d’une paysannerie spoliée.

 

Quelle image a-t-on en général des FARC-EP (Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée du peuple) ? Évidemment, on en a celle véhiculée massivement par les grands médias, en France comme en Colombie, largement inféodés à l’oligarchie capitaliste ultra-libérale – laquelle, il faut bien le reconnaître, n’adore pas trop ce qui s’approche de près ou de loin à une opposition (a fortiori armée !) s’efforçant de résister aux desseins ourdis par les grandes multinationales et autres engeances qui ont tendance à s’accaparer les richesses puis à rechigner à les redistribuer correctement.

Rarement sollicité par les médias et la télévision qui auraient plutôt tendance à le boycotter, Pierre Carles, avec ce documentaire précis, au plus près du terrain et des racines historiques, retrace la genèse de ce mouvement de résistance paysanne colombienne. Guérilla des FARC, l’avenir a une histoire va donc à rebrousse-poil du storytelling ordinaire qui s’évertue à considérer les FARC-EP (Fuerzas armadas revolucionarias de Colombia – Ejército del Pueblo) comme des terroristes, des extrémistes, des narco-criminels ou des rançonneurs sans vergogne.

533x800_Pierre-Carles_FARCCar les FARC, comme le raconte ce film, ne surgissent pas du néant, ne sont pas issus d’une génération spontanée qui aurait décidé, sur un coup de tête, de prendre les armes. La lutte contre les injustices ne date pas d’hier comme le rappellent les images extraites de Canaguaro, fiction de Duni Kuzmanich (1981), qui ponctuent le reportage, illustrant la situation explosive des années 50. La résistance armée est la conséquence d’impasses politiques dûment constatées au moment, par exemples, de l’assassinat de Jorge Eliécer Gaitán (1898-1948) candidat de gauche aux présidentielles et très populaire, ou par le massacre des paysans qui s’opposèrent aux grands propriétaires terriens, ou encore par le « génocide » politique perpétré à l’encontre de milliers de partisans et militants de l’Union patriotique (UP, parti fondé par les FARC en 1984 au moment d’un éphémère cessez-le-feu). Face à ces exactions caractérisées auxquels s’ajoutent les carnages systématiques de villageois·es, soupçonnés d’être proches des révolutionnaires, par des groupes paramilitaires d’extrême-droite, une partie de la population choisit de rejoindre le maquis et d’aller grossir les rangs de la guérilla, où, dans des zones reculées et montagneuses, est expérimentée, dans la jungle humide, une vie spartiate et solidaire qui s’auto-finance via le prélèvement d’un impôt révolutionnaire, via des kidnappings (certes controversés) et qui s’appuie sur un large soutien de la population des campagnes négligées, voire abandonnées par l’État, où la culture de la coca s’avère une source de revenus importante pour les paysans.

Pierre Carles et son équipe suivent notamment un peloton de FARC, comprenant une Française, dans cette période critique où il est question de rendre les armes et de retourner à la vie civile suite à un accord de paix signé avec l’État, à La Havane, censé accorder 10 millions d’hectares de terres aux petits paysans, des progrès sociaux et une amnistie pour les guérilleros et guérilleras. Cultiver un lopin de café, ouvrir un petit commerce, prolonger l’idéal d’une société communiste, travailler dans l’économie solidaire, les ambitions de celles et ceux qui abandonnent la guérilla, sans se faire d’illusions, sont modestes. D’autres, en revanche, comme l’ELN (l’Armée de libération nationale – Ejército de Liberación Nacional), plus suspicieux quant à la bonne foi et la bonne volonté de l’État colombien, ne sont pas prêt·es à déposer les armes.

Embrassant des décennies de lutte armée contre un État colombien (pourtant soutenu militairement par les États-Unis) acculé à la négociation, et zoomant sur cette phase délicate durant laquelle les armes sont déposées, ce documentaire a ainsi l’immense mérite de nous aider à mieux comprendre les enjeux auxquels doit faire face la société civile colombienne, qui aspire à la paix, à l’équité, à l’amour et à la fraternité, mais se tient prête à combattre, à employer la force armée si on ne lui laisse pas d’autres choix pour défendre ses droits et vivre dignement. Face à l’oppression et aux abus criants (que ce soit en Colombie ou en Palestine), la lutte armée, en dernier ressort, malgré le gâchis qu’elle implique, est une réponse qui fait sens.

NB : Un débat orchestré par le dessinateur Pierre Ramine fait suite à la projection, au cours duquel on comprendra que la paix et la stabilité en Colombie devront s’accompagner de justice et de vérité. Il reste des comptes à régler, en particulier ceux liés au scandale des falso positivo (les faux positifs) et à l’assassinat de nombreux civils (plusieurs milliers ?), sans aucun lien avec la lutte armée, revêtus de tenues des FARC-EP et dont les cadavres étaient exhibés, lors d’opérations de propagandes proprement dégueulasses, pour décourager la population à rallier le maquis et mettre en avant la pseudo-efficacité de l’armée en lutte contre la rébellion, tenue en échec par des paysans.

PS : Pierre Carles prépare pour cette fin d’année la sortie d’un film sur le plus vieux prisonnier politique de France, le militant communiste libanais Georges Ibrahim Abdallah, dont la libération, moult fois retardée sous toutes sortes de prétextes largement dictés par les États-Unis, pourrait advenir en juin 2025 si aucun bâton n’est placé dans les roues de la Justice.

Guérilla des FARC, l’avenir a une histoire, documentaire de Pierre Carles et Stéphane Goxe – Séance unique à l’Arvor le mardi 15 avril 2025 en présence du réalisateur – 142 min – Produit par Annie Gonzales et C-P Productions.

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