La nuit, d’Elie Wiesel : un ouvrage-phare.
Le nazisme est une idéologie qui s’exporte bien et en vertu de laquelle on instille dans la tête des gens que la société se portera mieux si on martyrise et spolie certaines catégories de la population. Le Hongrois Elie Wiesel (1928-2016), par ce fabuleux texte, en montrant ce à quoi ça aboutit concrètement (des camps de concentration, des usines de mort et de maltraitance des catégories d’humains décrétés inférieurs dont la vie ne tient qu’à un fil, qu’à un quignon de pain, qu’à une soupe claire et dont l’issue fatale semble être les cheminées monumentales des fours crématoires qui fonctionnent à plein régime 24h/24, 7 jours sur 7, approvisionnés en « combustible » par des trains de wagons à bestiaux aux portes plombées en provenance de toute l’Europe) démontre en quoi cette idéologie est saugrenue et ne tient absolument pas la route.
Et pourtant, par-ci par-là, fleurissent dans la tête des gens des conceptions du monde colonialistes, suprématistes, qui rappellent combien, même si les témoignages d’individus comme Elie Wiesel sont essentiels pour saisir, au moins en partie, l’abomination que représentent les idéologies racistes, eugénistes et discriminatoires lorsqu’elles sont portées à leur point de sombre incandescence, ils sont néanmoins insuffisants pour éviter que l’Histoire ne resserve peu ou prou les mêmes plats cauchemardesques, proprement infernaux.
Alors qu’au fin fond de la Transylvanie, en 1943, la communauté juive de Sighet pensait échapper au pire – sans savoir exactement en quoi consistait ce pire et en refusant de croire ce que colportaient ceux qui avaient échappé au pire et avaient l’expérience de la mise en application de « la solution finale » –, la Hongrie est envahie, un gouvernement pro-nazi instauré et des lois antijuives promulguées.
Des ghettos sont créés. Les juifs hongrois sont recensés, parqués, terrorisés, spoliés de leurs biens et bientôt déportés. Elie Wiesel et sa famille sont convoyés vers Auschwitz-Birkenau où des tris impitoyables sont effectués dès la descente du train et les plus faibles, jugés inaptes au travail, improductifs, sont directement gazés. Elie et son père échappent par miracle à cette première sélection opérée par le docteur Mengele* sur le quai de ce terminus.
Auparavant très pieu et se destinant à l’étude des textes saints, le jeune Elie détaille combien, suite aux épreuves que le destin et le IIIᵉ Reich lui imposent, combien, donc, sa foi est ébranlée, atomisée, questionnée, en ce lieu que Dieu semble avoir abandonné.
« Tant d’événements étaient arrivés en quelques heures que j’avais complètement perdu la notion du temps. Quand avions-nous quitté nos maisons ? Et le ghetto ? Et le train ? Une semaine seulement ? Une nuit – une seule nuit ?
Depuis combien de temps nous tenions-nous ainsi dans le vent glacé ? Une heure ? Une simple heure ? Soixante minutes ?
C’était sûrement un rêve. » (page 83)
* Ce « toubib » (1911-1979) sera déchu de ses titres universitaires en 1964, comme nous le rappellent Yehuda Koren et Eilat Negev dans Nous étions des géants – L’incroyable survie d’une famille juive de Lilliputiens – famille juive qui eut à traverser à peu près les mêmes épreuves que le jeune Elie.
La nuit, d’Elie Wiesel, Les Éditions de Minuit, préface d’Elie Wiesel, avant-propos de François Mauriac, 1958, 2007, 208 p., 7,90 €.