La sage-femme d’Auschwitz, d’Anna Stuart : la Shoah perçue à hauteur d’utérus.
« Trop éprouvée, elle ne savait plus très bien si Dieu veillait encore sur eux à Birkenau ; elle avait cependant la conviction que, si tel était le cas, il devait être en larmes, lui aussi. » (pages 184-185)
Quand la Seconde Guerre mondiale éclate (démarrant par l’invasion de la Pologne par l’Allemagne), Ester Abrams, Polonaise de confession juive, est alors en formation pour devenir infirmière à Lodz. Ester est amoureuse d’un apprenti-tailleur, Filip Pasternak, également de confession juive. La Pologne occupée, les lois contre les juifs promulguées à tire-larigot, la vie d’Ester et Filip, tout jeunes mariés, se dégrade sérieusement, rapidement, inéluctablement : rationnements, humiliations, privation d’exercer leurs professions, mises au ban de la société abasourdie, étoiles jaunes à coudre sur les fringues, puis déplacements sous la contrainte des populations juives vers des ghettos qui deviennent vite surpeuplés, insalubres, invivables, avant de s’avérer n’être que des antichambres vers les camps de travail et d’extermination – encore plus cauchemardesques si tant est que ce soit possible et simplement imaginable.
« Grese [la SS-Aufseherin Irma Grese (1923-1945)] finit par se fatiguer et alla rejoindre ses camarades, laissant à terre sa victime brisée par les coups. Ester dut lutter pour ne pas se pencher et aller aider la pauvre femme. Birkenau leur interdisait même de faire preuve de ce genre d’humanité. Comme Anna le lui disait souvent, leur seule arme désormais était de rester en vie. La gentillesse était devenue un mouvement clandestin. » (pages 188-189)
Sage-femme d’expérience, qui n’est pas juive, Ana Kaminski a eu le malheur d’être emprisonnée parce qu’elle avait fait le choix de résister à l’occupant nazi. Ana et Ester vont se retrouver à Auschwitz-Birkenau. Leurs (merveilleuses) professions leur sauveront la vie – vie néanmoins devenue abominable puisqu’elles officient dans une maternité sans réels moyens, au sein du camp, à l’ombre des miradors et des cheminées des fours crématoires, là où les vies ne tiennent qu’à un fil ; où les monstres (kapos, subalternes et officiers SS) règnent en maîtres diaboliques ; où les moindres signes de faiblesse ou de rébellion conduisent aux chambres à gaz ou à la potence ; où les enfants qui, miraculeusement, y naissent, finissent noyés dans un seau d’eau sale ou bien sont arrachés à leur mère s’ils ont les cheveux blonds et la constitution conformes au programme Lebensborn et expédiés dans les familles d’une société allemande en mal d’enfants – tant les pertes humaines sont élevées sur les divers fronts ouverts par la Wehrmacht –, et qui en a pourtant terriblement besoin pour espérer pouvoir durer mille ans.
« “À quoi bon se donner tant de mal ?” se disait-elle souvent. Et pourtant, le miracle de la naissance l’éblouissait à chaque fois, projetant toujours un flot de lumière et d’espoir dans les ténèbres qui l’entouraient. Tant que des bébés naissaient, il y avait un avenir. » (p. 373)
S’appuyant sur des figures et des faits historiques, Anna Stuart décrit ainsi l’enfer des ghettos et d’Auschwitz-Birkenau, faisant œuvre de mémoire, tout en rendant hommage à des héroïnes et des héros de la Résistance d’une dignité et d’un courage époustouflants. Roman utile donc pour remettre inlassablement les pendules à l’heure et rappeler à quelles extrémités abominables les humains en arrivent lorsqu’ils dénient à d’autres de bénéficier des droits fondamentaux universels auxquels chacun·e est censé·e prétendre – et à quels défis majeurs doivent faire face celles et ceux qui n’abdiquent pas leur part d’humanité.
La sage-femme d’Auschwitz, d’Anna Stuart, roman (2022) traduit de l’anglais par Maryline Beury, 2023, City Éditions, coll. « J’ai lu », 476 p., 8,60 €.