Les ruines volontaires, d’Alexis Fichet : un petit livre pour un grand projet, qui serait, si on extrapole un peu, de rendre la planète habitable en échappant à la pensée hégémonique productiviste.
« Dans les quartiers périphériques, comme l’ancienne zone bourgeoise de Saint-Michel, les maisons autrefois entourées de jardins sont recouvertes par la végétation, lierre arborescent, vigne vierge délirante, impénétrables buissons de ronces. Les jardins ont été le point de départ d’une reconquête végétale assez rapide, mais qui s’arrête souvent aux portes des bâtiments : les plantes n’ont aucune raison de pénétrer dans les pièces froides et inhabitées, là où l’eau ne rentre pas, où la lumière est rare. Il faudra attendre de grands effondrements, d’autres entassements, des mélanges plus étranges de pierres et de bois grignotés par les parasites, pour que la nature vienne prendre le dessus. » (p. 13)
Les éditions Animal Debout* poursuivent leurs explorations du monde vivant via la plume d’auteur·es invité·es à décentrer leur regard, à ne pas mettre l’humain au centre des choses, à considérer la présence des autres animaux, leur existence, leurs droits en quelque sorte, qu’ils soient sauvages ou domestiques, impressionnants ou minuscules. Ici, l’opuscule Les ruines volontaires d’Alexis Fichet imagine une ville de Saint-Brieuc rendue à une vie, végétale et animale, sans entrave. Le projet de l’auteur – habile – est bien entendu de nous amener à réfléchir sur la façon problématique qu’ont les humains de coloniser tout l’espace, de s’accaparer toutes les ressources et donc, au final, de salement contribuer à l’extinction de moult autres espèces privées d’espace vital et d’être complices de l’exploitation sans vergogne de celles qui présentent un intérêt calorique et protéinique.
Alexis Fichet dans Les ruines volontaires offre ainsi une vision inédite de la préfecture costarmoricaine envahie par les faunes et les flores sauvages ayant reconquis leurs droits (sauf que l’auteur ne détaille pas par quel biais politique, suite à quelles réflexions, à quelles catastrophes, quels événements ou quelles prises de conscience les Côtes-d’Armor sont ainsi soustraites au joug des humains). Libre à chacun de formuler ses hypothèses.
Et si ne pas occuper tout le terrain, laisser une part conséquente de l’espace et partager les ressources avec les autres espèces était un horizon souhaitable, heureux, absolument nécessaire peut-être ? Et si c’était les contours d’un nouveau paradigme post-capitaliste** que dessinaient Les ruines volontaires d’Alexis Fichet ?
Post-scriptum : Metteur en scène, dramaturge, co-fondateur de la compagnie Lumière d’août et auteur, Alexis Fichet était présent au festival rennais Court-Circuit #1 et participa à une table ronde passionnante, « Zooinclusivisité : vies et fictions avec les animaux », en compagnie de la chercheuse Émilie Dardenne auteure d‘Introduction aux études animales (PUF, 2020) et de Considérer les animaux – Une approche zooinclusive (PUF, 2023). Il sera aux rencontres Écrire et dire le 12 décembre à la MJC du Grand Cordel.
* Les éditions Animal Debout ont lancé un appel à textes comme chaque année. Téléchargement du règlement de ce concours de nouvelles ici.
** Contours déjà esquissés, via un prisme différent propre à la capitale grecque et aux enjeux méditerranéens, dans Nous n’avons pas peur des ruines de Yannis Youlountas.
Les ruines volontaires, d’Alexis Fichet, éditions Animal Debout, Rennes, coll. « Fabuleux ZOOpuscules », 26 pages, 2024.