Hyperjeu – Petit précis de performativité, par La Faction : un ouvrage, stimulant et insolent, pour reconquérir cette naïveté quasi enfantine qui permet d’imaginer un meilleur monde, fonctionnant avec des règles, pour certaines à réinventer, basées sur le partage et la solidarité – et la remise en cause des dogmes éculés.
« Je rejette aujourd’hui cet adulte qui pousse en chacun de nous afin d’accepter le monde tel qu’il est. Pour moi, quiconque possède plus que la moyenne est coresponsable de la pauvreté des autres. » (p. 92, « témoignage de Djénéba, femme de ménage, 28 ans »)
Notre société occidentale est traversée par des tensions, des oppressions, des injustices. Certaines de celles-ci semblent même être cultivées à dessein. La concorde et l’harmonie disparaissent au profit du stress chronique, des injonctions paradoxales, des spoliations quotidiennes, des aliénations plus ou moins consenties, des répressions et autres humiliations. Une solution serait de courber l’échine, de se satisfaire des règles d’un jeu faussé qui rend toute allégresse impossible. La Faction quant à elle oppose une stratégie plus combative, plus ambitieuse, plus festive : l’Hyperjeu.
Ainsi, publié aux éditions des bricoles auxquelles on doit L’art de lancer des choses ou bien L’Émeute du futur par l’aimable Comité des Bons Conseils, ce Petit précis de performativité aidera le citoyen lambda que nous sommes à combattre la morosité et la résignation. Invitation à reprendre l’initiative, à ne pas se laisser déposséder de cette créativité et de cette liberté fondamentales pour résister au désenchantement de notre société, Hyperjeu propose des témoignages (vrais ou faux, allez savoir) et des récits (inventés de toute pièce ou bien prophétiques ? qui sait ?), réinjectant quelques essentielles giclées d’huile dans les rouages de nos organisations crispées, sclérosées, arc-boutées, consternées mais qui pourraient – en modifiant un chouïa les règles du jeu, en pratiquant l’Hyperjeu donc – (re-)devenir magnifiques et magnanimes.
« Je crois qu’il est important pour les plus jeunes de rendre ringard et honteux ce culte des possessions, d’humilier leurs prix, leurs défilés, leurs vacances, leurs goûts, leurs fringues, leurs bijoux, leurs voitures, leurs boîtes de nuit, leurs paillettes, leur tapis rouge. » (p. 115-116)
Questionnant les notions d’argent ou de propriété privée, Hyperjeu se veut révolutionnaire. Réhabilitant les grandes figures comme celle de Marius Jacob, ce voleur au grand cœur qui « partage quasiment tout ce qu’il prend et vivra chichement toute sa vie » (p. 135), Hyperjeu admet le vol (des très riches) comme une façon très valable et convenable de répartir l’abondance et de réparer ainsi les injustices et les inégalités. Prônant la joie et le partage, voire l’amour, Hyperjeu, en cette époque vouée aux obscènes profits financiers et à l’ultra-concurrence, se fait soudain subversif. Pour ces raisons parmi d’autres, Hyperjeu ne laissera donc pas insensibles toutes celles et ceux qui ne supportent plus qu’il y ait de plus en plus de millionnaires dans une société qui, simultanément, compte de plus en plus de crève-la-faim, de sans-abri et de précaires. Hyperjeu pose des questions concrètes sur notre propre rapport au monde et sur la société que nous bâtissons – ou subissons.
Hyperjeu est un appel saugrenu à influer sur le cours du monde. À faire preuve de courage et de solidarité, entre humains qui auront gardé une âme d’enfant et une capacité puissante à œuvrer pour refuser toute forme de maltraitance. À chacun·e d’hyperjouer, de profiter des interstices, des rayons de lumière féérique pour ne plus se cantonner à être simple spectateur et refuser catégoriquement d’endosser ce sous-rôle et enfin sortir du scénario pré-écrit, voire imposé, par celles et ceux qui rêveraient que jamais rien ne changeât !
« Nous œuvrons à la méticuleuse confection, au sein d’un obscur laboratoire esthético-conceptuel, du bacille de l’entraide radicale. » (p. 141)
À nous de jouer, donc, maintenant – en plus, ça tombe bien, cette année 2024 est celle des JO : pour les Hyperjoueurs·joueuses que nous aspirons à devenir, ce sera autant d’opportunités de médailles et possibilités de gratifications historiques !
Post-scriptum : Le titre complet Hyperjeu – Niveau 1 – Taquin terrible sous-entendrait-il que ce premier opus sera suivi d’autres niveaux ? Quoi qu’il en soit, ne brûlons pas les étapes, franchissons déjà ce premier niveau.
Hyperjeu – Petit précis de performativité, par La Faction, les éditions des bricoles, Rennes, janvier 2024, 304 pages, 9,90 €.