Club de lecture aléatoire #5

Pour terminer l’année, voilà un cinquième épisode du club de lecture aléatoire, avec des romans mais aussi des revues, et de la poésie. Bonnes (re)découvertes au fil des pages !

 

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Le chien des étoiles – Dimitri Rouchon-Borie


« Gio pousse un hurlement, c’est un cri de bête, et dans le wagon, personne ne l’entend autrement. Le cri se perd dans le vent qui souffle depuis des jours. » (p. 145)

Auparavant journaliste spécialisé dans le judiciaire, Dimitri Rouchon-Borie est désormais un auteur qui continue sa route aux éditions du Tripode ; et bien grand nous fait. Sélectionné en 2021 parmi les finaliste du prix Goncourt pour Le démon de la colline aux loups, roman récompensé par de nombreux prix, il publiait cet été un nouvel ouvrage, forcément attendu, Le chien des étoiles. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne déçoit pas. On pourrait même dire que sa lecture crée un voyage aussi déchirant que poétique ; une ode à la liberté, une sorte d’hommage à ces personnages lunaires, déracinés, vibrants. Un récit rempli pourtant de violence, à l’émotion accrue par la sensibilité du protagoniste Gio, qui a embarqué dans ses pas les petits Dolores et Papillon ; avec une écriture capable d’alterner descriptions inspirées aux dialogues incisifs, allant droit au but (sûrement quelque part parmi les astres), impossible de ne pas se laisser embarquer dans ce souffle. Un très grand livre.

17 août 2023 – 240 pages – Le Tripode

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Les terres animales – Laurent Petitmangin


« La vie s’est organisée. De la débrouillardise, des réquisitions sauvages, du troc. Nous avons écumé tous les villages du coin et il reste de quoi vivre pour des années. » (p. 27)

Une zone, on ne sait pas bien où, devenue totalement radioactive, continue à vivre en marge. La vie s’organise avec Alessandro, Marc, Lorna, Sarah et Fred, deux couples et un solitaire, qui tentent de (sur)vivre dans leurs anciens lieux de vie désormais contaminés. Combien de temps cela peut-il durer ? Qu’est-ce qui définit la vie, et l’animalité qui y revient ? Ici la dystopie est dans la situation, pas dans des descriptions techniques trop précises, le récit s’attachant à observer les relations du groupe, avec au fil du livre, une alternance des points de vue des protagonistes. Une écriture rapide, parfois un peu nerveuse, des séquences qui se tendent ou se disloquent ; un livre à déguster dans sa combinaison anti-radiation.

24 août 2023 – 224 pages – La Manufacture de livres

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L’âge de détruire – Pauline Peyrade


« Ma mère tient ma main serrée dans la sienne. Elle lui imprime une pression nerveuse, un peu douloureuse. Je ne dis rien, j’imagine que toutes les mères serrent fort la main de leur enfant, je n’en connais pas d’autre. » (p. 25-26)

C’est l’histoire d’un déménagement. C’est l’histoire d’une petite fille, Elsa, et de sa mère. Sa mère qui l’aime beaucoup. Beaucoup trop. Elsa aussi aime beaucoup sa mère. Mais il s’agit en réalité de subir, se soumettre, et de l’isolement, de deux solitudes côte à côte, dans un huis-clos aux descriptions calmes, qui tranchent avec cette gêne sourde qui apparaît rapidement. Le vernis se fissure, et c’est à travers le regard de l’enfant qu’apparaît la monstruosité de l’adulte. Une relation nuisible qui fait éclore cet « âge de détruire ». Détruire quoi, détruire qui, détruire jusqu’aux relations extérieures, avec ce sentiment de ne pouvoir en réchapper. Un roman claque, un roman brut.

Prix Goncourt du premier roman 2023

5 janvier 2023 – 160 pages – Éditions de minuit

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Comment sortir du monde – Marouane Bakhti


« Je ne dis rien sur moi. J’ai l’impression d’être toujours complètement inadéquat, toujours surprenant. C’est une place que je ne trouve pas. Une place que je cherche mais qui n’existe pas. Les gens ne me font pas d’espace. Et j’entends des horreurs, des choses horribles sur les Arabes. » (p. 54)

Avec son titre en guise de manuel, il n’en est pourtant rien ; il serait plutôt une façon de s’y réinstaller, dans le monde. Le premier roman de Marouane Bakhti évoque une sortie de pays, celle du Maroc pour une arrivée à Paris, une sortie d’une sexualité hétéro-normée, pour assumer son homosexualité. Un coming-out de rupture qui se fragmente dans un refus de chronologie du récit, effectuant allers-retours entre errance dans la capitale et souvenirs d’enfance. Succession de petits tableaux aux courts chapitres, pensées et courts paragraphes, dans lequel on pourra se sentir éparpillé, mais dont on appréciera les formules et les tournures.

30 mars 2023 – 135 pages – Les nouvelles éditions du réveil

 

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Casse dalle – Jennifer Have


« – Marrez-vous, fit Olivia avec sérieux, tout est politique, surtout la bouffe. On peut vivre sans baiser, pas sans manger. »

La communauté opina du chef comme un toutou de plage arrière. Avant la fermeture de l’usine, ils n’auraient pas été si unanimes, mais la faim avait modifié leurs corps et leurs priorités. À présent, même les plus sexuels auraient préféré un steak à une partie de jambes en l’air mémorable. » (p. 98)

 

C’est un roman qui se traîne dans l’univers de l’agro-industrie du Nord de la France (et plus précisément dans des lieux fort agréables comme un abattoir à l’abandon) ; le premier roman de Jennifer Have nous plonge dans une dystopie mordante, qui démarre avec une star d’émission culinaire déchue prise en otage par des ouvriers quelque peu en colère (faut dire que c’est le chômage et que les aides sociales sont inexistantes). Un premier roman en conserve donc, à déguster sur un parking désaffecté pour augmenter l’expérience de cette lecture hors norme dans le monde du roman noir.

9 juin 2023 – 350 pages – Éditions du bout de la ville

 

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Reste – Adeline Dieudonné



« Le sortir de la baignoire a été plus compliqué que l’y faire entrer, sa peau mouillée glissait entre mes mains. Puis je l’ai traîné jusqu’au lit pour l’allonger et le sécher. “Aussi léger à porter que fort à éprouver”, mon cul. Je l’ai regardé, nu, serein, j’ai pensé qu’il était bien là. » (p. 46)

Après La vraie vie et Kerozène, l’autrice Adeline Dieudonné revient avec un nouveau roman au scénario plus ou moins fantasque, quasi burlesque : une maîtresse se retrouve avec le cadavre de son amant après quelques jours d’amour dans un chalet et décide… de partir avec. Homme marié donc, avec qui l’idylle se transforme en périple mortuaire, le corps sur la banquette arrière, se perdant dans la montagne et surtout dans une montagne de souvenirs liés aux hommes de sa vie. Celui-ci, il lui a appris à (s’)aimer, ce n’est pas rien. Avec de nombreuses touches d’humour, la poésie de ce road-movie désespéré fait mouche, dans un style qui mêle le brut de la réalité à une finesse sensible. Un récit initiatique pour apprendre à dire adieu.

6 avril 2023 – 282 pages – L’Iconoclaste

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La Déferlante – N° 12, dossier spécial Rêver


« Si le présent est intolérable, rêvons d’égalité, de justice sociale, de futurs où tout devient possible. » Extrait de l’édito.

Alors que l’année s’achève dans des demi-teintes pas forcément réjouissantes, la revue indépendante La Déferlante prend le contre-pied des ambiances moroses pour proposer un dossier consacré au rêve, aux utopies, et à ce qui voit plus loin. Arrivée à son douzième numéro, c’est encore avec un beau travail iconographique et rédactionnel que l’on retrouve des échanges (entre notamment Alice Zéniter et Camelia Jordana), des cartes blanches sur la thématique du rêve à différentes autrices, ou encore un rétrospective sur les dix ans du mariage pour toustes.

144 pages – Novembre 2023

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Portrait de l’écrivain en chasseur de sanglier – Jean-François Kierzkowski 


 

  »Chaque journée passée sans pantalon érode à ses yeux mon prestige d’écrivain. Est-ce ma faute si ce début d’automne est caniculaire ? J’aurais bien voulu voir Victor Hugo en plein réchauffement climatique ». (p. 53)

Il sera ici question de Chateaubriand (mais pas celui des Mémoires d’outre tombe) et de 272 kilos de saucisses. Il sera ici question des affres de l’écrivain François Korlowski qui doit participer à un ouvrage collectif célébrant les Grands prix du roman de l’Académie française. Il sera ici question d’un couple et d’une famille mise à mal par ce challenge ardu, avec un éditeur pressant et des relations sociales passées au vitriol. Des histoires drôlatiques, des situations cocasses, et une lecture aussi légère qu’un moustique qui viendrait perturber le travail d’un auteur en pleines recherches.

11 janvier 2023 – 140 pages – Éditions Mialet-Barrault


Stop pub : vous prendrez bien un abonnement aux éditions du commun ?

L’économie du livre indépendant est fragile ; maison d’édition rennaise spécialisée en sciences sociales, avec désormais une collection poésie, les éditions du commun proposent plusieurs formules d’abonnement à différents tarifs pour l’année 2024. De quoi (se) faire plaisir et soutenir leurs publications.


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Les nageurs de la nuit – Tomasz Jedrowski


 

« C’est ainsi que je vivais à l’époque : à travers les livres. Je m’enfermais dans leur histoire, je rêvais de leurs personnages la nuit, je me prenais pour eux. Ils étaient mon armure contre les arrêtes dures de la réalité. »

Années 1980 en Pologne. Le héros Ludwik est dans un camp de travail obligatoire pour tout jeune voulant poursuivre ses études ; il y rencontre Janusz, notamment autour de baignades dans la rivière et la lecture d’un roman (alors interdit) de James Baldwin, La Chambre de Giovanni (1956). Et, aux côtés de Janusz, les attirances enfantines de Ludwik se confirment. Une écriture fluide dans laquelle les deux protagonistes voient leur vie (homosexuelle et clandestine) évoluer sur fond historique, dans une ambiance d’insurrection et de suspicions mêlées. Un premier roman prenant à déguster en nage libre.

8 mars 2023 – 224 pages – La Croisée

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OK chaos – Leïla Chaix


« on accumule donc les cassures

et les raccords raccommodés

ça nous rend plus chelou qu’avant

on planera alors à 10 000″ (p. 80)

Histoire d’une maison qui rêve à plusieurs, d’un statut d’artiste-autrice ne rentrant pas dans les clous du RSA, récit d’avortement ou souvenirs du confinement en « absurdistan », il s’agit ici de 13 textes, au style tantôt poétique, tantôt désabusé et/ou hyper réaliste. Toujours dans une observation et une sincérité fracassante avec un vocabulaire ancré dans l’époque, Leïla Chaix nous entraîne dans une sorte de bloc-notes qui chronique le réel. Les angles du monde capitaliste qui nous abîment, nos peurs nos amitiés nos combats nos joies d’on sait plus pourquoi ni bien comment mais Leïla Chaix le fait très bien avec cet OK chaos qu’on pourra adopter en guise de journal intime et collectif.

3 novembre 2023 – 144 pages – éditions Lundi matin

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Queer et fières – Rowan Ellis & Jacky Sheridan


 

Vous ne savez pas comment aborder la question du genre ? Votre fille (ou même vous !) s’interroge sur son identité ou ses désirs ? Le petit livre jeunesse Queer et fières devrait vous y aider. Illustré avec fraîcheur et dynamisme à destination des adolescentes, avec une rédaction documentée sans être assommante, c’est sur 160 pages que différents points d’interrogation sont affrontés sans détour. Avec plusieurs chapitres, clairs et francs sans être brutaux (des mentions de prévention sur ce qui va être abordé dans la section suivante alertent le lectorat et jalonnent l’ouvrage), le livre traite ainsi sans tabou de la sexualité, du consentement, définissent des mots et relient tout ça à l’histoire des luttes et symboles LGBTQI+. Une réussite.

23 février 2023 – 160 pages – Gallimard jeunesse

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Vous prendrez bien une citation poétique ?


« Il y a des mots qui consolent
protègent
Nous les écrivons
pour mieux les savourer
en garder la mémoire
et pourquoi pas les transmettre
Que chacun prenne une feuille
de quoi écrire
et se prête à l’exercice » Abdellatif Laâbi – La terre est une orange amère, Castor Astral, juin 2023


Encore quelques suggestions ?


Le français va très bien merci (Tracts Gallimard) – Ou pourquoi nous continuerons à utiliser le point médian.

Les dés – Ahmet Altan (octobre 2023 – 208 pages – Actes Sud) – Ou comment le jeu de hasard nous fait atterrir dans la Turquie début 20ᵉ.

Trou noir n°2 « Aimons-nous le sexe ? » (Octobre 2023 – 160 pages – éditions la Tempête) – Ou comment aborder politiquement cette épineuse question sous des angles militants, philosophiques ou poétiques.

■ Des choses qui arrivent – Salah Badis (5 octobre 2023 – 160 pages – Éditions Philippe Rey) – Ou comment Alger se fait toile de fond pour des existences diverses et bariolées en quelques nouvelles.

La Palourde – Sigolène Vinson (4 mai 2023 – 176 pages – Le Tripode) – Ou comment observer un étang agonisant peut disséquer ses relations humaines, et devenir une palourde.

Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé – Marc Alexandre Oho Bambe (Calmann-Lévy) – Ou comment le jazz se distille dans les histoires de famille, à moins que ça ne soit le contraire.

EuniceLisette Lombé (18 août 2023 – 192 pages – Seuil) – Ou comment le slam s’emmêle au sport et à un drame familial.

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