Figurec : un astucieux et désopilant roman de Fabrice Caro sur les personnalités troubles.
Le narrateur est un drôle d’oiseau. Sa passion secrète est d’écumer et comparer les cérémonies funèbres des environs. Évidemment, il est célibataire et en souffre. Évidemment, il a un boulot précaire – l’écriture d’une pièce de théâtre qui n’arrive pas à aller plus avant que la scène 1 de l’Acte I est sa colonne vertébrale professionnelle. Évidemment, sa famille s’inquiète en catimini pour lui – d’autant que son petit frère, beau et intelligent et en couple avec une ravissante jeune femme réussit quant à lui tout ce qu’il entreprend.
La rencontre du narrateur avec un individu qui semble partager la même passion que lui pour les oraisons va avoir raison des derniers liens qui le raccrochaient à une réalité compliquée. Dans ce premier roman drôle à souhait, très troublant et en filigrane perturbant, Fabrice Caro narre les déboires d’un pauvre type pathétique qui plonge peu à peu dans cette sorte de folie que constituerait un monde où personne ne serait complètement sincère, où chacun·e jouerait un rôle – et serait payé·e pour ce faire ou bien paierait pour profiter des services de ces innombrables figurants. Un monde de dupes qui aurait de quoi rendre cinglé n’importe qui de sensé. Un monde qui n’est pourtant pas si éloigné de notre réalité post-moderne dysharmonieuse où règnent en maîtres les faux-semblants, les normes douteuses et les préjugés paresseux qui font glisser la société vers une espèce de schizophrénie chronique généralisée.
« Tania t’a quitté, tes amis t’ont lâché, tu es au fond du trou, voilà l’état idéal pour un artiste, le voilà le terrain propice à la création !
- Conneries… Conneries et clichés sur le mythe de la création… On n’écrit pas parce qu’on est mal, on écrit parce qu’on l’a été… Des pantoufles, un café, une clope, une cheminée avec un chat devant, un ordinateur et un salaire qui tombe à la fin du mois, le voilà le terrain propice à la création, là on peut écrire sur la souffrance… Dans l’état où je suis, on reste au lit. On reste au lit et on attend que ça se passe.
- Tu es sur la bonne voie, tu as déjà les pantoufles, le café et la clope.
- J’ai plus de café. » (pages 192-193)
Figurec, un roman de Fabrice Caro, Éditions Gallimard, Paris, 2006, coll. « Folio », 2019, 272 p.