One Shot : Ousmane Sy en plein cœur

Jeudi 8 septembre 2022, le TNB affiche complet. La dernière chorégraphie d’Ousmane Sy, parti en décembre 2020 alors qu’il est co-directeur du Centre Chorégraphique National de Rennes et de Bretagne, doit s’y danser. Un One shot à domicile. Et une puissance rare dans les murs de la salle.

« On n’aura jamais eu autant besoin de danser. » Ousmane Sy

Alors que 2020 est une année marquée par le Covid, la disparition d’Ousmane Sy en décembre laisse le monde de la danse et du hip-hop en deuil. Alors que devait se finaliser sa 5ᵉ et dernière création intitulée One shot, la mémoire du chorégraphe se trouve portée par l’équipe qui n’arrête pas le travail, et le spectacle se joue, à huis-clos pour cause de fermeture des théâtres une première fois, devant les caméras, en janvier 2021 à Suresnes ; la première représentation publique y aura lieu le 29 janvier 2022.

Septembre 2022, le spectacle est programmé pour l’ouverture de la saison du TNB et dans le cadre de la biennale Millésime, porté par le collectif FAIR-E dont Ousmane Sy était membre. Une double représentation en hommage, un moment qui s’annonce riche en émotions et en sensibilité. Et ces dernières transpirent dans cette chorégraphie, savant mélange des corps sur une musique house, où percent parfois des voix féminines (parmi lesquelles, l’incontournable Nina Simone).

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Sur scène, 8 danseuses et 1 Dj, Sam One. Le mouvement dans les pieds. Une danseuse arrive, puis une autre. Le mouvement se duplique. Puis un corps s’extrait du groupe. S’échappe de la synchronicité préparée à la milliseconde, au millimètre. Elle semble vouloir déconstruire de ses gestes le rythme lancinant qui envahit l’espace. One Shot va devenir une quête d’émancipation. Une recherche au cœur des rythmes. Et rapidement va s’en dégager une véritable puissance. Puissance des corps et de la précision des gestes. Puissance du groupe face au public, avec l’attitude quasi provocatrice jusqu’à l’avant-scène : les danseuses lèvent le poing et avancent fièrement les épaules.

Ici pas d’enchaînement de pirouettes comme dans une battle de breakdance. Ici le dépassement de soi fait corps avec celui des autres. Une danseuse entame un solo : les autres la regardent. Répondent à certains de ces gestes. Brassage des styles, du voguing jusqu’au coup de tête dans un ballon imaginaire. Tous reliés au rythme. Celui des pas qui finissent par opérer un vacarme dans le silence assourdissant de la salle. Celui qui semble ancestral ; celui qui semble résonner dans une salle de club un peu vide. Celui des talons de Marina de Remedios qui invite le flamenco. Chaque danseuse porte son unicité, tout en gardant une couture plus ou moins visible avec le collectif.

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©Timothée Lejolivet

Jouant avec les décalages, comme ce duo démarré avec des gestes extrêmement lent alors que le BPM de la house s’agite, One shot sait viser le ralentissement alors que la tension musicale augmente ; opérer des figures quasi mécanisées, automatiques, pour les dénouer ensuite dans quelques mouvements gracieux des bras, soufflant à la fois la rigidité de la technique et la souplesse de formes d’improvisation, voire de liesse collective. Pour revenir au point de départ, le même motif chorégraphique. En littérature, on aurait parlé d’épanadiplose ; en danse, je n’en sais rien. Durant la représentation, perchée en haut de la salle, j’ai vu peu de têtes s’agiter au rythme de la musique. Et pourtant, quand les lumières se sont éteintes, les applaudissements ne m’ont pas trompée : nous venions de vivre la même intensité. De recevoir cette puissance invisible collectivement. « (…) au théâtre, les cœurs des spectateurs de synchronisent et battent à l’unisson » écrit Kae Tempest page 66 de son livre Connexion. Ce soir-là au TNB, les cœurs ont sûrement été synchronisés avec ce qui se dansait sur les planches. One Shot. Un seul coup, un seul tir, en une seule fois. Ousmane Sy a visé au bon endroit.

 

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