Festival TNB : Les Idoles

La dernière semaine du festival TNB a commencé lundi avec les Idoles de Christophe Honoré, une pièce pétillante et sombre, créée et présentée au Théâtre de Vidy à Lausanne en septembre 2018. Hommage parlé, chanté et dansé aux modèles du  réalisateur, tous fauchés par le SIDA. Ses chers disparus. Entre rires et larmes. Dans l’ombre des garçons en fleurs de sang.

  »Je n’ai plus vingt ans. Aujourd’hui, j’aimerais évoquer ces jours étranges… Comment durant quelques années, ceux que j’avais choisis comme modèles pour ma vie, mes amours, mes idées se rangèrent tous du côté de la mort. » Christophe Honoré

Une station de métro. Deux couloirs qui se font faces. Au centre, des marches circulaires, des colonnes qui s’enfoncent dans les entrailles de l’obscurité façon quai de seine, façon scène des Nuits Fauves. Le ventre de la terre. Là où grouillent les maladies infec-tueuses.  Des silhouettes vêtues de jeans, de baskets, de chemises, apparaissent une clope à la main. Le metteur en scène Jean-Luc Lagarce (Julien Honoré) et le dramaturge Bernard-Marie Koltès (Youssouf Abi-Ayad)le critique de cinéma Serge Daney (Jean-Charles Clichet), l’écrivain, journaliste et photographe Hervé Guibert, le réalisateur Jacques Demy et l’écrivain, acteur, musicien et réalisateur Cyril Collard (Harrison Arévalo). Pendant deux heures trente (qui filent à la vitesse d’une ritournelle de Michel Legrand), ces six figures masculines qui ont marqué les jeunes années de Christophe Honoré retrouvent une voix sans se préoccuper du genre ou de la ressemblance des traits. Ainsi Marina Foïs se glisse dans la chemise rose/pantalon large de Hervé Guibert tandis que Marlène Saldana charnelle incarne l’inoubliable réalisateur des Parapluies de Cherbourg.

Les idoles 2

L’art de la mise en scène pour réanimer les années quatre vingt & quatre-vingt dix, en extraire la matière artistique et l’héritage des idoles. Les saynètes se succèdent à une rythme enlevé aux titres évocateurs « Jours étranges, Mauvais sang, Rock Hudson, Mon sida, Le ciel de Nantes, Cher inconnu etc. » Christophe Honoré redonne chair à cette « bande  d’anarcho-dandy verbeux » comme ils se définissent. Peut-être ne se sont-il pas tous croisés de leur vivant alors ils rattrapent le temps mort et conversent à bâton rompu, se moquent joyeusement et avec un humour pétillant, règlent des comptes, pointent du doigt la fuite (ou la pudeur ?) de certains d’entre eux tel Jacques Demy dont le secret de sa maladie et de son homosexualité furent évoqués par sa compagne Agnès Varda  20 ans après son décès. En substance, Christophe Honoré retrace les années mortifères du virus entre la découverte publique de la maladie de Rock Hudson, première victime médiatique et ses conséquences sur une génération privée d’amour sans protection à la beauté nécrosée « avant on me disait que j’avais de beaux yeux ou une belle bite, maintenant on me dit que j’ai de belles veines ». Les Idoles, pur fantasme jouissif  et dialogue intime poignant d’un admirateur, Christophe Honoré toujours en deuil de ses figures tutélaires arrachées brutalement au monde des vivants.

les idoles

Pure joie tintée d’émotion de retrouver Jacques Demy femme-fourrure (magnifique Marlène Saldana) chanter et danser la vie, Hervé Guibert (émouvante Marinas Foïs) trémolos dans la gorge et larmes aux yeux narrer les derniers jours de Michel Foucault à travers un monologue extrait de son roman  A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vieCyril Collard frondeur et militant d’un « Sida qui immunise contre l’extrême droite », le ciné-fils Serge Daney et sa dévotion aux images éternelles, Jean-Luc Lagarce et son mentor Patrice Chéreau et les gestes sensuels et troublants de Bernard-Marie Koltès. Christophe Honoré a effectué un important travail documentaire, les dialogues et monologues sonnent justes parce qu’ils appartiennent aux artistes. Par-delà leur disparition. Jusqu’à une dernière danse portoricaine qui se poursuivra dans la mémoire du public conquis, bien au delà du spectacle achevé.  Les idoles ne meurent jamais tant que les mots continuent leur travail de transmission.

Les Idoles du 23 au 30 novembre au TNB

 

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