Cela fait un paquet d’années que Mathieu Ramage (et surtout sa voix) arpente les scènes. En 2020, il monte son spectacle solo, Jamais tranquille, créé en plein confinement. Un constat en slam et chansons sur une époque amère. Rencontre avec une poésie rageuse qui sait également sourire.
■ Aujourd’hui tu portes ton nouveau spectacle solo, mais où en sont les projets de groupes comme Silence et Fatras ?
Silence oui c’est fini, Fatras ça continue. C’est un projet plus collectif aussi, ça m’a appris d’autres émotions par rapport à la musique, notamment avec le spectacle de rue. Silence, c’était vraiment un groupe et un chanteur, un côté plus introspectif, je me sentais plus de porter ce truc-là. Pourtant j’y avais mis énormément d’espoirs, c’est dur d’arrêter un projet qui t’a pris aux tripes comme ça. Mais Fatras c’est loin d’être terminé ! C’est une aventure super dynamique.
« Je me suis mis à écrire tous les jours »
■ Paradoxalement là c’est du solo total… comment tu as démarré cette aventure ?
La véritable histoire… j’ai pas forcément envie de tout dévoiler ! Suite à une tournée difficile avec Awake, il a fallu me réinventer… et c’était juste avant le confinement. Du coup je me suis foutu au piano ; le piano pour moi au départ c’était plutôt un support de composition dont les musiciens s’emparaient ensuite, notamment pour Silence. Et là je me suis mis à jouer une dizaine de morceaux, je me suis dit « j’ai ça ». Et tout un confinement devant moi !
Le premier confinement je trouve qu’il a été très dur pour les militants ; mais il y avait une sorte d’espoir du genre « regardez la planète elle respire »… tu parles ! Maintenant on s’est presque habitués… alors qu’on continue d’en prendre des sévères plein la tête, des Darmanin et Le Pen sur un plateau télé il y a un an et demi on aurait trouvé ça impensable ! Donc tous les jours je me suis mis au piano, avec un côté transcendantal d’écriture, je me prenais la tête en regardant mes gamins dormir… je me suis mis à écrire tous les jours. Puis j’ai des choses qui sont sorties façon Gainsbourg. Ou Michel Berger. Michel Gainsbourg quoi… c’est le titre d’une de mes chansons. Le spectacle est né. D’abord devant 6 personnes. Et ça a plutôt bien pris, jusqu’à pouvoir le jouer en octobre à l’Aire libre après plusieurs petites dates dans des événements privés.
■ Pourquoi ce titre, Jamais tranquille ?
Parce que ça me ressemble bien : je suis jamais tranquille ! Mais aussi dans le texte « Jamais tranquille » adressé aux dominants il y a ce refrain : « on ne vous laissera jamais tranquilles… »
■ Tu parlais de la représentation à l’Aire libre que j’ai pu voir ; et c’est pas que de la chanson. Il y a aussi un aspect théâtral, du slam… comment tu as pu boutiquer tout ça ?
À force de mélanger en partant de zéro ! J’ai pas la capacité pour faire un piano voix tout seul. J’aime bien quand il y a plusieurs disciplines, sans se perdre à faire mille trucs, mais j’aime bien le rythme. Avant je faisais que du slam, mais faire un spectacle juste de ça je trouve ça très chiant ou alors il faut un public très attentif. Le piano-voix… j’adore Juliette mais c’est une pianiste hors pair ! Je savais que j’avais la capacité de faire des choses debout en association avec les choses au clavier. Peut-être que faire plusieurs trucs cache la non-excellence de chaque ! Je trouve que les changements permettent de faire rebondir, d’accrocher le spectateur, d’avoir quelque chose de rythmé. L’idée c’est que l’auditeur passe un bon moment, sans se faire noyer par les mots. J’ai mis de l’humour aussi, chose que je faisais pas avant.
« Même si je sais pas ce qu’est un artiste engagé, je trouve que ça devrait être deux notions très proches »
■ Justement il y a une oscillation entre de l’humour et des choses sérieuses, mais dites en filigrane, pas de manière totalement frontale. Question compliquée : c’est quoi pour toi être un artiste engagé ?
C’est marrant que tu me poses la question parce que j’ai eu un débat là-dessus avec quelqu’un qui pensait que l’artiste doit être subversif. Pour moi artiste engagé ça devait forcément être irréprochable. Quand tu es en colère tu as tendance à être plus exigeant, moins indulgent. Maintenant je suis un peu plus… calme par rapport à ça. Parce qu‘il y a toutes formes d’engagements. Je pense que même quelqu’un qui fait de la musique pour faire danser les jeunes, qui n’ont rien d’engagés politiquement ça peut le faire ; j’ai vu un concert comme ça, tout d’un coup après un morceau ils parlent d’Adama*, j’ai trouvé ça super. On peut être très subversif, engagé dans ses textes mais… je sais pas, je trouve que quelqu’un qui le fait pas, c’est limite. Nous on a l’occasion en une phrase de faire réfléchir, même s’il n’y a que dix personnes dans le public… En tout cas, même si je sais pas ce qu’est un artiste engagé, je trouve que ça devrait être deux notions très proches. Je suis pas trop rap, mais j’aime bien le rap parce qu’à un moment où il n’y avait plus de paroles, là il y en avait. Je sais que la musique comme vecteur d’oubli ou de danse c’est très important, mais quand tu sais que ce sont les puissants qui décident des vecteurs de mode qu’on va avoir, tu t’étonnes pas qu’il n’y ait plus de paroles au bout d’un moment !
■ Tout à l’heure je regardais le slam « Le bouclier », qui a sûrement été écrit avant la loi sécurité globale… t’as pas peur d’avoir des problèmes avec ce texte ?!
Je l’ai écrit pendant le 1ᵉʳ confinement ; je l’ai posté en me posant des questions sur moi-même. Est-ce que je veux toujours être cet artiste engagé ? Je devrais même pas me poser la question ! C’est difficile de savoir si tu fais les choses pour ce que tu as à dire, ou si c’est pour la fierté que ce soit toi qui les ais dites… c’est ça aussi le travail d’un artiste.
« On a la France de nos chers présidents… »
■ Tu viens tout juste de faire une résidence au Grand Logis de Bruz ; en ce moment nous sommes dans une « choucroute » particulière concernant le spectacle, ou la culture en général. Comment tu envisages la suite dans ce contexte ?
Clairement j’ai créé le spectacle par opportunité de faire du solo. Je suis assez pessimiste, dès le départ je me suis dit qu’il n’y aurait plus que des spectacles chez l’habitant, plus de concerts… Mon travail c’est d’écrire, je peux pas faire autrement. J’ai toujours eu l’impression qu’on allait vers des crises, et que tout ce qui emmerde le monde de l’argent ils tireraient un grand coup de trait là-dessus. Je suis pas complotiste sur le fait que les dirigeants aient créé une pandémie mais qu’ils l’utilisent à tort et à travers, et pas uniquement chez nous.
On parlait déjà de collapsologie avant le confinement ; il y a plein de gens qui pensent que ça va repartir, « vous inquiétez pas la culture on est plein », mais j’ai l’impression que ça va être pire que ce que ça paraît ! Les festivals, 5 000 personnes assises, bref que les gros projets, que les gros groupes, mais tous les petits artistes eux ils pourront plus. On a la France de nos chers présidents… Tout ce qui est petite structure comme les cafés-concerts vont disparaître, et la culture sera ouverte aux riches, et aux alternatifs ; c’est fou, c’est comme dans les films où on voit qu’il y a une bande qui résiste, moi j’ai l’impression que ça va être ça… Je suis partagé entre essayer de m’en sortir dans ce système ou essayer de le prendre à contrepied.
■ Dans un de tes textes il y a un passage qui dit : « il paraît que les mots ça peut sauver la vie » ; pour celui qui les écrit ou pour celui qui les écoute ?
Plus pour celui qui les écrit. En même temps il y a des gens qui n’ont pas accès aux mots dans la vie et ils vont entendre quelque chose d’important pour eux. Mais du coup est-ce que je fais les choses pour moi ou pour ceux qui écoutent ?
(silence, rires : voilà un sujet de dissertation !)
Dire des choses bien écrites, en poésie, il y a des gens à qui ça va parler « voilà c’est exactement ça que je pensais, voilà comment j’aurais voulu dire les choses ! »
■ Quel serait ton dernier coup de cœur musical ?
Vincent Prémel. Lui m’a fait me rendre compte que ce que je voulais faire était pas forcément ce que je savais faire dans la musique. Des gens qui ont besoin de personne, avec leur guitare dans la rue, dans un bistro, raconter une histoire ; c’est des mecs comme ça qui manquent aujourd’hui. Ça j’espère que ça va pas disparaître. Des artistes de bonheurs invisibles.
* Adama Traoré, mort suite à son interpellation en 2016.