« Idéalement, on ferait des disques qui s’autodétruiraient » : interview de Catastrophe

Depuis la sortie de leur livre-album La nuit est encore jeune, le groupe Catastrophe sillonne les routes et déploie des performances électrisantes, à chaque fois uniques – conscients que le moment qui sera vécu collectivement, dans chaque salle de spectacle, ne se reproduira jamais. Ces 7 jeunes gens chantent, dansent, écrivent, mangent les peurs des gens et composent des comédies musicales. Rencontre avec Blandine, Pierre et Arthur, au premier degré et demi, lors de leur passage au festival Mythos.

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Catastrophe, comment ça va ?

Blandine : Hyper bien ! Moi j’adore parce que ce qu’il y a de plus ennuyant dans les tournées, c’est l’attente, le fait que ce soit vague et lent. Ici c’est génial, on arrive et tout de suite il y a plein de choses à faire, entre les rendez-vous, les balances, les repas, on a l’impression d’être dans un parc d’attractions, c’est très agréable.

Comment vous définiriez Catastrophe à des gens qui ne connaîtraient pas le projet?

Arthur : Catastrophe c’est un groupe de personnes plutôt dans une tranche d’âge en-dessous de 30 ans, basé à Paris, et on se rejoint pour créer des objets qui sont de la musique ou de la scène ou du texte, où on essaye de ne rien s’interdire.

Blandine : Et moi je préciserais qu’on est 7, quand on est tous ensemble. 6 sur scène, et 7 quand on peut.

Pierre : Au-delà de faire de la musique, d’écrire des choses, je crois que ce qui nous intéresse le plus c’est de réaliser des idées qui nous excitent, qui nous enthousiasment, et si possible qui n’ont pas été encore faites.

Blandine : Et si possible qui troublent un peu le réel, la perception qu’on en a. Pas juste de faire un joli album ou un beau livre, mais fabriquer des événements.

 

 

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Parmi les idées que vous formulez, il y a celle que « tout change à chaque instant ». Depuis la sortie du disque et du livre, il y a un peu plus d’un an, comment cette tournée vous a-t-elle transformés?

Pierre : Ça nous a intensément transformés.

Blandine : Je dirais qu’on s’est rendu compte qu’en fait, on faisait tout ça pour la scène. Personnellement, c’est le trouble principal que j’ai eu : avant je croyais qu’on faisait un disque et que ponctuellement on allait faire tel ou tel événement, alors que je me suis rendu compte que non, on faisait tout ça pour faire de la scène, pour rencontrer des gens, que c’est ça la finalité.

Arthur : On s’est rendu compte que c’était au cœur de ce qu’on faisait, le fait d’aller au contact, à la rencontre des gens, de villes qu’on ne connaît pas.

Blandine : Donner autant d’énergie et d’attention à la scène, ça a changé la musique qu’on fait, ça a changé ce qu’on dit aussi. Par exemple, on s’est rendu compte que certains mots sont cryptiques, on ne s’en rend pas forcément compte quand on les écrit, mais quand on les dit c’est frappant. L’épreuve de dire quelque chose à quelqu’un est immédiate, on sait tout de suite si la personne comprend ou pas. Et ça ça nous a beaucoup aidés à écrire et à trouver de la musique, à imaginer des événements… On se rend compte des endroits où le vocabulaire est trop littéraire ; ça ne nous intéresse pas d’être trop littéraires sur scène, ce qui nous intéresse c’est de parler à des gens. Parfois on cherchait absolument le bon mot, mais en fait si ça nous met à distance des gens, ça ne va pas. Il vaut mieux avoir un mot qui est juste à côté, et dont on va infléchir le sens par la manière dont on l’amène, plutôt que d’avoir un mot que personne ne comprend.

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Pierre : Je pense que ça a changé complètement notre rapport à la musique. Sur le disque on était dans une démarche de home-studio, de production assez froide et digitale, alors que, sur le prochain projet, on va avoir quelque chose qui consiste beaucoup plus à jouer et à chanter ensemble, tous dans la même pièce, on va être beaucoup plus dans quelque chose de chaud, de vivant. On va enregistrer tous dans la même pièce, ensemble. On va vraiment fonder le prochain projet sur cette expérience-là.

Blandine : L’important c’est l’adresse. Les choses sont belles, efficaces, elles fonctionnent quand elles sont vraiment adressées. J’ai aussi réalisé à quel point faire de la musique et de la scène, créer des événements, c’était prendre part à la société. On en avait l’intuition, mais ce n’était qu’une idée ; et là soudain, on rencontre des gens très différents. On a joué avec des publics qui n’ont pas les mêmes références, qui ne se ressemblent pas, qui n’ont pas les mêmes âges, les mêmes situations sociales…

Arthur : Par exemple à Marseille, avec les Francofolies de la Rochelle et Francoéduc, on a été invités à venir écrire des chansons, avec des enfants entre 8 et 12 ans. On était dans les quartiers Nord pendant une semaine et on a écrit un morceau avec eux, on est venus avec de la musique, eux ont vraiment écrit le texte et on les a accompagnés jusqu’à la fin. Il y a eu un concert au Cabaret Aléatoire et on a rencontré des gens qui étaient profondément marqués, c’était leur premier concert, ils se rendaient bien compte que c’était pas anodin d’aller dans les quartiers Nord de Marseille faire cette opération, parce que c’est des quartiers qui sont globalement abandonnés… et donc la musique mûrit grâce à ça aussi.

Blandine : Maintenant cette idée, on essaye de la pousser au bout, on a fait ça très sérieusement, on va sortir le morceau le 17 avril, un morceau vraiment produit, on a travaillé avec un graphiste, un photographe… on voulait pas faire une mission strictement sociale, on voulait aussi qu’artistiquement il y ait une valeur. On est allés jusqu’au bout de ça. Mais ouais faire des choses avec des gens qui ne vivent pas comme nous, faire des choses dans des pays étrangers avec des gens qui ont pas notre âge… à chaque fois on est stupéfaits de ce que ça nous enseigne.

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« Une liberté vers laquelle on tend »

Le rêve est une des thématiques principales de Catastrophe : comment vos rêves influencent-ils vos créations ?

Blandine : On a quelqu’un dans le groupe, Carol, qui note tous ses rêves au matin, depuis 6 ans, dans une note de portable.

Arthur : Moi sur scène je raconte un rêve que je fais, comme une relecture de ce qui s’est passé ; ce qui est fort c’est ensuite de le raconter à plusieurs, et de voir comment le rêve nous a touchés inconsciemment, comment est-ce qu’il revient. C’est assez formidable d’avoir ce film intérieur, qui ne va pas forcément donner de réponses parce que ce n’est pas ce qu’on attend, mais presque des questions ou des pistes à exploiter.

Pierre : Oui le rêve c’est une source d’inspiration infinie, ça nous démontre que le cerveau fait preuve d’une imagination incroyable, des terreaux de trouvailles et d’associations auxquelles on n’aurait jamais pensé, c’est un peu comme un modèle, créativement parlant…

Blandine : C’est une liberté vers laquelle on tend, sans y arriver vraiment, puisqu’on a des idées mais aussi un emploi du temps. On a parfois du mal à se libérer de paroles entendues, qu’on répète… alors que dans le rêve la parole voyage.

 

Dans l’énergie du rêve dont vous parlez, il y a une matière à canaliser et à exprimer dans le corps. Vos performances live sont très physiques. Arthur, je suis tombée par hasard sur un portrait de toi dans un livre d’Edmond Baudoin, Le Corps Collectif, ouvrage de dessins qui reprend le nom de la compagnie de danse dont tu as fait partie, et que le dessinateur a suivie pendant plusieurs années. Est-ce que d’une manière similaire, vous envisagez Catastrophe comme un « corps collectif » ?

Arthur : Alors c’est deux choses totalement différentes. Dans le Corps Collectif, le partage des idées ne se fait pas au niveau de l’idée, mais de la réalisation. L’idée vient assez tard dans le processus. Dans Catastrophe, on essaye d’avoir chacun une spécialité ou d’intervenir sur un champ en particulier et de toujours dialoguer et s’influencer. Dans la compagnie de danse, à 13, c’était une chose impossible et il y avait beaucoup plus de méditation, donc un protocole de non-dialogue, un dialogue non-verbal, on passait des journées sans se parler… c’est autre chose. Il n’y a pas de développement personnel dans Catastrophe, là où dans le Corps Collectif il est dans l’ADN. J’y ai fait le mouvement que je voulais faire et puis je suis parti, mais c’est des bons souvenirs.

Blandine : Et puis on est pas un corps si collectif que ça, on est plutôt un corps associatif ou un corps partenarial, ou un corps sympathique ! Mais on n’est pas un seul et même corps, chacun sait faire des choses et chacun met son savoir-faire au service de l’objet qu’on est en train de réaliser, mais on n’appartient pas tous au même corps. On a chacun nos corps.

Arthur : On essaye d’avoir ce qu’on appelle un monopole horizontal. Dans l’industrie, avoir un monopole vertical c’est tenir toutes les entreprises qui possèdent une branche. Par exemple toutes les entreprises du transport. Un monopole horizontal, lui, va essayer de développer toutes les branches dans la création de l’idée. De ce fait, on est dépendants, on est obligés de se tenir dans un dialogue en bonne intelligence, on tient la réalisation du début jusqu’à la fin.

 

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Vous préparez une comédie musicale, est-ce que vous êtes plus West Side Story, Les Demoiselles de Rochefort ou Starmania ?

Pierre : Les trois ! C’est le triangle d’or !

Blandine : Dans Starmania on prendrait le propos, dans West Side Story on prendrait les chorégraphies, dans Les Demoiselles de Rochefort on prendrait l’esthétique, les couleurs.

Arthur : Et on inviterait Bob Wilson pour ajouter de la folie.

Blandine : Et Stephen Sondheim pour faire un petit featuring dans la composition.

Pierre : Et Charlie Kaufman, Borges, Kundera…

 

■ Ah et est-ce que vous avez des nouvelles de Kundera ?

On a son adresse de source sûre, la vidéo lui a été transmise… la partie n’est pas finie.

 

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Comment vous rêvez le monde de demain ?

Pierre : Surprenant ?

Blandine : Le monde de demain sera forcément surprenant…

Arthur : Je dirais apaisé, pas forcément dans le sens de la tranquillité, mais dans l’idée de mieux diriger son énergie quelque part.

Blandine : Moi je pense écologique, mais dans tous les sens du terme, c’est-à-dire qu’il y a une écologie au sens des matériaux qu’on utilise, mais aussi une écologie de l’information, des relations humaines… Je pense que le mot écologie sur tous les plans a quelque chose à nous apporter, même artistiquement.

Pierre : Moi j’imagine un monde où on pourrait être premier degré, sans avoir trop d’esprit de sérieux. Où on pourrait garder de l’humour.

Blandine : Blandine : Le premier degré et demi, tu veux dire ? C’est un concept inventé par notre ami Théophile Dubus.

Pierre : Ah oui, c’est ça !

Blandine : Pas mal ! Un monde apaisé, écologique, et au premier degré et demi…

 

Et la clé du bonheur alors, c’est quoi pour vous ?

Blandine : Avant de chercher la clé du bonheur, faudrait trouver la porte !

Pierre : Moi, à titre personnel, je dirais peut-être que c’est l’effort, la clé du bonheur.

Arthur : Pour moi ce serait peut-être un temps. Un temps à soi, sentir qu’on dispose de son temps, et que ce n’est pas le temps d’un autre.

Blandine : Pour moi c’est l’autre la clé du bonheur, je ne sais pas ce qu’il a à m’apporter.

Pierre : Comme vous le voyez on a plusieurs définitions du bonheur, on s’en rend compte…

Blandine : Voilà, nous cherchons la porte !

 

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Est-ce que vous avez peur de la mort ?

Blandine : Oui, mais je crois que continuer à avoir peur ça me fait agir.

Pierre : Moi, je crois que j’ai peur de ne pas réussir à finir…

Blandine : Alors ça te fait agir aussi. Au-delà de nos ressentis individuels, l’idée de la fin, elle est très présente dans Catastrophe, on commence le spectacle en rappelant que ce qui va se passer ne reviendra pas. Ce n’est pas juste une belle phrase, moi quand je dis ça, je le pense vraiment, chaque concert c’est aussi la fin de ce concert-là. Il y a un vrai tragique là-dedans.

Pierre : C’est ce qui n’existe pas avec un disque, c’est pour ça que la scène nous ressemble tant que ça.

Blandine : Idéalement on ferait des disques qui s’autodétruiraient !

Arthur : Ce qu’on pourrait faire, ce serait un morceau qu’on ne pourrait écouter que 10 fois par exemple. Un morceau, tu l’achètes et tu ne peux l’écouter que 10 fois. Par exemple, imaginons, je l’écoute une première fois chez moi. Je l’écoute une deuxième fois parce que je l’adore, et à un moment je vais vous dire « Hey les gars, on va se poser et écouter un morceau, ce sera la troisième fois que je l’écoute, je veux partager ça avec vous »… et il faudrait garder des écoutes avant la fin.

Pierre : Eh, mais c’est une super bonne idée, ça !

Blandine : Est-ce qu’on serait pas encore dans l’écologie ? Dans l’écologie musicale ?

Pierre : La musique est un peu maudite parce qu’elle est immatérielle, c’est aussi pour ça qu’économiquement c’est aussi dur, parce qu’il n’y a plus de physicalité et je pense que ça dévoie beaucoup la qualité de l’écoute des gens…

Arthur: C’est comme le mot léger, quelque chose peut être léger, c’est-à-dire qu’il va voler plus facilement, et en même temps ça implique qu’il ne va pas avoir assez de poids, de consistance. On est dans une espèce d’ère légère…

Blandine : La même chose qui nous fait jouir nous fait souffrir. Nous c’est comme ça qu’on voit l’époque dans laquelle on vit. Tout meurt en permanence. Une suite de deuils qui dansent ? Voilà la vie.

Le site du groupe Catastrophe

 

Catastrophe, La nuit est encore jeune, livre chez Pauvert et disque chez Tricatel.

Interview réalisée conjointement avec Alphonse Terrier de La Vague Parallèle. Merci à lui !

 

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