Jukebox #7 : la sélection de mars

Cette sélection de disques sort dans un contexte particulier ; avec l’annulation des concerts, les musiciens (mais aussi labels et salles) se voient impactés par le confinement. Mais peut-être est-ce d’autant plus le moment de les écouter. La musique, ça ne s’enferme pas.

 

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Ausgang – Gangrène


 

Au micro, Casey. À la musique, Ausgang (Marc Sens, à la guitare et à la basse Manusound aux machines et Sonny Troupé à la batterie). Un nouveau projet collaboratif (après Zone libre et Asocial club) pour la rappeuse qui réunit ici punchlines assassines et rock acéré. De quoi tenter de tailler dans la Gangrène, celle dont  » la douleur grandit vite, elle est sans limite, quand je l’ignore elle me rend visite ». Ici le hurlement trouve son écho dans les guitares et martèle ses pas dans des basses lourdes ; au fil des titres, le flow de Casey trouve son écrin dans des compositions à l’aspect rugueux dont l’ensemble s’emboîte parfaitement. Rendant au rock ses origines transgressives avec « Chuck Berry »,  traversant la ville en parlant de ceux qui grandissent « Comme une ombre » (et dont la conséquence se trouve certainement dans « Aidez-moi »), Casey rappelle qu’elle n’est toujours pas à vendre (« Ma complice »).  Beaucoup de titres sont lents, comme un prédateur se faufilant vers sa proie, désignée sans appel dans « Élite » : « qu’est-c’que tu veux qu’on comprenne chaque fois qu’tu chiales à l’antenne ». 10 titres bien énervés sur le fond, comme sur la forme qui menace de se finir en pogo sur « Bâtard ». Face à la Gangrène généralisée, une solution, l’amputation ?

10 titres – 6 mars 2020


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KIM - Omnichordia


 

KIM (Giani de son nom) est un multi-instrumentiste qui n’a pas moins que 40 albums à son actif (et on a la flemme de citer toutes ses collaborations). Bon en fait soyons clair KIM est un ovni musical qui ne fait même pas du KIM (puisque chaque projet ne ressemble pas au précédent). Et donc, KIM-jamais-fatigué sortait fin février un album de 2 titres (qui durent au total 33 minutes et des poussières) intitulé Omnichordia ; car il joue ici principalement de l’omnichord (instrument de musique électronique portatif et commercialisé par Suzuki Musical Instrument Corporation en 1981 pour la définition). À partir de là, le musicien part en roue libre entre superbes envolées, ruptures totales, nappes électro, ambiances 70′s oniriques et/ou planantes. On ne sait plus très bien où on se retrouve dans la stratosphère et c’est là tout le talent de ces deux plages inclassables. Un projet aussi incongru que son compositeur, et c’est un régal.

2 titres – 27 février 2020 – MK label


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Dubamix – Camarades


 

Les amateurs de « dub activiste » seront ravis du retour de Dubamix, qui étaient restés bien silencieux depuis Pour qui sonne le dub (2014) et un remix d’un album de Joke (2018). Toujours ponctué d’extraits de films ou d’audio de manifestations, ce nouvel opus intitulé fort à propos Camarades en invite justement une quinzaine à participer, de Fred Alpi à Marina P ou les rappeurs Stratégie de Paix & L’1consolable. Évoquant les émeutes de Stonewall, c’est un véritable appel à la « Solidaridad » pour faire « Front international ». Ce qui n’empêche pas d’évoquer l’histoire, en reprenant « Here’s to you », chantée en 1971 par Joan Baez pour la BO du film Sacco & Vanzetti, consacré à ces deux militants anarchistes exécutés en 1927. Un récit à lire dans le clip correspondant ci-dessous.

17 titres – 6 mars 2020

 

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Artùs – Cerc


« Viens voir, m’appelle Lépineux, viens voir, ça souffle un peu ! Descendu dans la doline pour le rejoindre, il me sembla, effectivement qu’un très léger courant d’air sortait par le trou, et je commençais à aider Georges à déchausser ses pierres : un trou qui souffle ! ça veut dire une immense caverne ! ça devenait vraiment passionnant. »
– Jacques Labeyrie, Les découvreurs du Gouffre de la Pierre Saint-Martin

3 ans après leur dernier album Ors, le groupe béarnais Artùs revient avec Cerc (Le cercle) ; et c’est loin de tourner en rond. Ce nouvel opus vous emmène dans un endroit bien particulier : entrez par le gouffre de Lépineux et vous arrivez au cœur de 465 km de galeries dans le massif pyrénéen. Débute alors une spéléologie musicale dont les musiciens deviennent les guides. L’accueil est aussi brut que mystique avec « Nigredo », avant de plonger dans une suite de titres (à écouter sans interruption entre chaque morceau) qui mélange en souterrain musiques traditionnelles, rock expérimental et électronique. Aussi caverneux qu’hypnotique, le disque ne plonge pas les 20 ans de carrière du groupe au fond du gouffre, mais en rapporte l’immensité et l’invisible des profondeurs.

6 titres – 27 mars 2020 – Pagans

 

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Mind the Beatz – Night cuts


 

Prenez deux musiciens du hip-hop tourangeau, Fysh aux platines et Zoën aux machines.  Lancez une bonne basse avec « Homeboy » et laissez-vous porter sur 11 titres pour lesquels vous vous surprendrez à appuyer sur « replay ». Vous aurez ainsi l’occasion dans votre voyage nocturne de marcher peinard en Asie avec « Pad Thaï » avant de rallier l’Inde grâce au sitar de « Sugar street (pt1) ». Vous visez plus loin ? Rendez-vous dans l’espace avec « Moon ». Le voyage musical se permet de plonger réellement dans son « abstract hip-hop » avec des titres comme « Mystery » et son ralenti de « Tha Squeeze » répété tout du long « Who’s the real criminal, take a look behind the scenes, corruption and greed is commonplace routine » (Gang Starr 2001). Coup de cœur pour « French connection » qui allie musique cinématographique à la François de Roubaix et esthétique rap. Night cuts (qui aurait pu s’appeler Nice cuts) est un 1er album amplement réussi, qui se dégustera certainement très bien sur scène, et au-delà des amateurs de techniques.

11 titres – 5 mars 2020 – Dora Dorovitch records

 

moonwise


Moonwise – Moonwise



Quartet rennais aux univers multiples, Moonwise sortait ce mois-ci son 1er EP éponyme. Des guitares et des percussions tendance afrobeat, une voix plutôt branchée pop : le mélange est peu commun et fait aussi bien danser qu’emmener dans des sphères de songwriting. Une sorte de cool-soul-jazz-funk hybride improbable, et des musiciens rennais à suivre (quand ils pourront remonter sur scène).

4 titres – 6 mars 2020 – Odyssea records

 

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Michael Vigneron – Nebula


 

Nous l’avions sagement écouté lors du festival Jazz à l’étage 2019 : le pianiste Michaël Vigneron sort son 1er album de ses compositions regroupées sous le titre de Nebula. Un voyage dans l’enfance, la sienne, mais celle aussi de l’enfant dont il est désormais père. Face à son clavier, c’est une plage qui se dessine, puis ici un rocher, puis des vagues ; des silences suspendus il en fait des colliers de mélodies simples et sensibles. D’un très rythmique  » Big bang » au calme d’une « Berceuse » sur laquelle on l’entend légèrement fredonner, Michaël Vigneron et ses deux musiciens explorent un univers imaginaire, nous rapportant des paysages au travers de 9 superbes titres. À déguster pleinement les pieds sur terre et la tête dans les nuages.

9 titres – 20 mars 2020 – Hostel records

 

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Bertram Wooster – Les oiseaux déguisés



Le musicien rennais a eu envie de se plonger en musique dans 5 textes de Louis Aragon. On oublie donc ici l’anglais qui est la langue habituelle, mais on peut garder l’aspect pop-folk-poétique présente notamment sur Go, lovely rose (Les disques normal, 2014). Un exercice pas facile, que d’aller flâner vers « La Rose du premier de l’an ». Flûte, piano, et bien sûr guitare, les compositions sonnent en petites mélodies d’une folk brute aux accents poétiques. Une promenade, pour voir qu’à travers les saisons, il ne reste que « Les décors ».

5 titres – 14 mars 2020

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GRaNDE – Chasing the giant


 

Une guitare, un violon et du chant ? Les auditeurs penseront à Mansfield Tya ; car GRaNDE est aussi un duo, mais la comparaison s’arrête là, outre la sensibilité à fleur de cordes. GRaNDE allie une folk où la simplicité fait mouche (« Pray the lord ») à une sensation de profondeur. D’une évolution dans l’espace sonore comme le superbe « The same ghost » qui finit par faire intervenir quelques accords au piano. Une oscillation entre force et fragilité, qui file de temps à autres quelques frissons. Chasing the giant, 6 titres pour un duo à découvrir impérativement.

6 titres – 6 mars 2020 – Lylo prod



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Carton – Le Havre


 

Il y a eu plusieurs chouettes sorties mises en avant par La Souterraine en ce mois de mars ; après des hésitations nous avons opté pour l’album Le Havre du Nantais Carton. Parce que ça grince, que ça couine, que ça traîne dans une prose un peu de traviole, il y a des choses bancales qu’on aime bien sans pouvoir vraiment l’expliquer. Parce que ça sautille avec claviers, batterie et mélodies mélangées sur « Deux cafés », que ça ajoute des petits bruits façon jeu vidéo, et que de cette alchimie naissent 10 titres qui ressemblent à la fois à beaucoup de choses et en même temps, juste à Carton. (NB : attention ce projet s’accompagne de sa version anglaise « The haven »)

10 titres – 18 mars 2020

 

Et pour clôturer cette sélection de disques, un clip printanier de l’Australienne Annie Burnell, tournée en 16 mm par Antoine Henault dans les Côtes-d’Armor.

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