L’Empire comanche, essai de Pekka Hämäläinen

L’Empire comanche, essai de Pekka Hämäläinen : Souvent présentés comme des sauvages tout juste bons à être exterminés, les Comanches font ici l’objet d’une étude approfondie, hyper documentée, qui replace ces Indiens des Plaines dans une dimension nettement plus riche et nuancée – n’empêche, ils auront quand même été salement exterminés.

« Si au départ les Comanches avaient ajusté leurs traditions, leurs comportements et même leurs croyances pour s’accommoder à l’arrivée des Européens et de leurs technologies, ils retournèrent plus tard la situation vis-à-vis de l’expansion coloniale européenne en refusant purement et simplement de changer. En préservant l’essentiel de leur mode de vie traditionnel – et en attendant des autres qu’ils se conforment à leur ordre culturel – ils forcèrent les colons à s’adapter à un monde étranger, incontrôlable et de plus en plus invivable. » (in Introduction de Richard White, page 45)

Les Comanches, au faîte de leur puissance, à cheval sur les XVIIIe et XIX siècles, atteignaient une population de 40 000 individus. Alliés avec les puissants Utes, ils vivaient dans les grandes plaines du Sud des États-Unis d’aujourd’hui (qui n’existaient pas alors comme tels, occupés qu’ils étaient par des colons espagnols, français, britanniques et surtout, par un patchwork de tribus indigènes souvent en conflit mapcomanche1770sles unes avec les autres). Leur prospérité était due au commerce des chevaux, mules, produits de leur chasse et autres trafics d’esclaves qu’ils échangeaient à leurs voisins contre des fusils, des tissus, du maïs, des courges, de la poudre, des outils en métal, des produits manufacturés venus d’Europe, etc. Ils volaient les chevaux et les mules et faisaient des captifs lors de raids impitoyables au Nouveau-Mexique ou au Texas alors sous la coupe de l’expansionniste et ambitieux empire espagnol qui avait des vues sur tout le Sud de l’Amérique du Nord et les yeux plus gros que le ventre. Les prisonniers (souvent des femmes et des enfants) étaient ensuite l’objet de rançons, ou transformés en esclaves. Car les Comanches, industrieux, avaient besoin de main d’œuvre pour la surveillance de leurs immenses troupeaux de chevaux, pour la préparation des somptueuses peaux de bêtes tuées à la chasse très demandées par leurs partenaires commerciaux et aussi parce que les captifs devenaient souvent des Comanches à part entière : favorable au brassage génétique qui permettait d’être plus résistant face aux germes venus d’Europe (variole, rougeole, etc.) qui décimèrent plusieurs fois ses rangs, la société comanche faisait preuve de souplesse pour intégrer les nouveaux venus qui, certes faits prisonniers lors de raids, avaient l’occasion de se marier, de prospérer au sein de la Comanchería qui pour ainsi dire les adoptait… Et ces nouvelles cellules familiales avaient à leur tour besoin d’esclaves..

« Le commerce et la parenté participaient de la construction et du maintien de la paix au même titre que la force, la coercition et la dépendance. Les Comanches assuraient la paix sur leurs frontières par une diplomatie active, mais leur aptitude à influencer les autres sociétés et gérer leurs relations renforçait également cette stabilité. En dominant les principales artères commerciales est-ouest et nord-sud dans le Sud-Ouest et les Plaines du Sud, les Comanches pouvaient contrôler le flot des produits de première nécessité à travers de vastes régions et étendre leur sphère d’influence bien au-delà de leurs frontières. Autour de la Comanchería, de nombreux groupes indiens – Cheyennes, Pawnees, Mandans et Hidatsas des Plaines du centre et du nord, Wichitas et Caddos des prairies du Sud, immigrants indiens du Territoire indien – avaient un besoin constant de chevaux et de mules domestiqués pour assurer leur survie économique, et ils regardaient tous vers la Comanchería pour satisfaire ce besoin. Les Comanches se trouvaient donc dans une position de force formidable : en gérant la diffusion de ces animaux entre un Sud-Ouest riche en ce domaine et les régions, situées au nord et à l’est, ils étaient littéralement en mesure de contrôler l’évolution technologique, économique et militaire du cœur de l’Amérique du Nord. » (page 288)

Capable de rameuter 27 000 guerriers, la nation comanche s’étendait sur un vaste territoire qui abritait d’immenses troupeaux de bisons. Craints des autres tribus, imposant aux colons leur culture (habile combinaison de diplomatie, de démocratie*, de commerce, de patriarcat assez rude**, d’adaptabilité nomade, d’exploitation des ressources naturelles, de virilité voire de cruauté guerrière, de pastoralisme, d’harmonie sociale – chacun ayant voix au chapitre lors de grandes assemblées auxquelles les rancherías étaient toutes conviées en vue de parvenir à des accords qui feraient l’unanimité –, de talent pour l’élevage de mustangs et la chasse montée), dominant un biotope favorable comprenant des pâturages à perte de vue et des rivières le long desquelles installer des campements regroupant des centaines de tipis abritant chacun des familles d’une dizaine d’individus, les Comanches ont exercé leur influence incontestable plus d’un siècle durant.

« Vue de l’extérieur, cette nation constituait une entité amorphe sans centre identifiable avec lequel négocier – ou susceptible d’être supprimé – et sans structure interne explicite qui aurait pu rendre sa politique extérieure prévisible. De fait, la puissance des Comanches existait non malgré leur organisation sociale informelle, voire atomisée, mais bien grâce à elle. » (page 455)

La surexploitation des bisons, vingt années de sécheresse et surtout l’appétit des Américains pour les vastes plaines et ses richesses, toujours plus nombreux et organisés, après la guerre de Sécession, qui ont vu leur empire croître parallèlement à celui des Comanches, la guerre d’extermination des peuples indigènes menée par ceux-là, ruinera en quelques années la Comanchería.

« Cette croyance dans l’origine surnaturelle des bisons pourrait bien avoir eu des conséquences cruciales sur la manière dont les Comanches réagirent au déclin du bison (…) Incapables d’envisager leur extinction, les Comanches furent tout aussi incapables d’envisager une politique qui aurait permis leur préservation. » (page 493)

C’est cette histoire passionnante que nous détaille Pekka Hämäläinen. L’historien finlandais nous livre, presque amoureusement, les apogées et le funeste destin d’une société qui s’est crue invincible, à laquelle tout ou presque a souri, avant de sombrer dans la misère et le désenchantement le plus total. Ça donne donc à réfléchir, autant qu’à s’émouvoir, sur le sort de ces nations dont les failles, les abus, les éléments naturels modifiés et/ou le voisinage hostile conduisirent un jour ou l’autre aux abîmes.

* « Quand les Comanches soupçonnaient leurs chefs d’être corrompus, ils se contentaient de les quitter. » (page 241)

** La polygynie est devenue la règle chez les Comanches, l’époux ayant plusieurs femmes qui travailleront pour lui.

L’Empire comanche, essai de Pekka Hämäläinen, 2008, Prix Bancroft 2009, traduit de l’anglais par Frédéric Cotton, préfacé par Richard White, Anacharsis éditions, Toulouse, 2012, coll. « griffe essais », 640 pages, 15 €.

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