Parmi les vignerons qui produisent des vins délicieux en France il y a des femmes, des vigneronnes. Elles le font conjointement avec un homme ou plusieurs, ou entre femmes, et même en solo. Leur travail est souvent moins mis en valeur et encore pétri d’a priori sexistes. Le nouveau livre de Sandrine Goeyvaerts, Vigneronnes, 100 femmes qui font la différence dans les vignes de France, donne un visage et la parole à cent d’entre elles.
« Vous découvrirez au fil des pages que toutes, du Jura à l’Alsace, de la Champagne au Beaujo et dans toutes les autres régions, ont des histoires singulières, émouvantes ou drôles. Elles travaillent seules, en couple amoureux, ou en tandem familial. Parfois “femmes de” au départ, elles ont su s’affirmer et trouver une place en harmonie. Elles sont à la tête de micro-domaines, d’exploitations plus importantes ou gèrent un petit négoce en attendant de trouver leurs vignes. J’ai choisi d’en dresser des portraits moins classiques, en m’intéressant aussi à leurs goûts, pour que vous touchiez du doigt ce qui les compose et que vous ayez envie de les rencontrer. De la néo-vigneronne qui a tout créé de A à Z, à la dingue de Far West à la faconde touchante, de la sérénité de celle qui a vu déjà tant de millésimes, à l’impressionnant flegme de la vigneronne qui tient malgré les tempêtes, elles ont toutes de belles choses à donner. »
Sandrine Goeyvaerts est une hyperactive du vin depuis des années : à la fois caviste à Vins Lacroix dans les environs de Liège en Belgique, blogueuse sur La Pinardothèque, journaliste pour Elle et Le Vif, autrice de livres pédagogiques (Jamais en carafe, Les perles d’une caviste et Carrément vin, 100 vigneron(ne)s au naturel), présidente de l’association Women Do Wine, et tweeteuse assidue.
Vigneronnes est son quatrième ouvrage, le premier paru chez Nouriturfu, et préfacé par Pascaline Lepeltier. Une signature qui donne le ton vu que cette dernière n’est rien de moins que sacrée en 2018 à la fois « meilleur sommelier de France » et « meilleur ouvrier de France », sommelière au prestigieux restaurant new-yorkais Racines et une des femmes du vin les plus en vue actuellement par son parcours et ses compétences. L’autrice nous fait rencontrer cent vigneronnes de France, à travers des portraits d’une page, et trente-six en double page, avec une présentation à la fois technique et intime de leur travail, et toujours le goût de l’humour qui lui est cher. Certaines font ce métier depuis des décennies (comme Marlène Soria depuis 1988 ou Isabelle Perraud en 1989), d’autres sont plus connues dans le milieu (Noëlla Morantin, en particulier depuis le Savoir enfin qui nous buvons de Sébastien Barrier, causerie format nabuchodonosor devenue livre), d’autres récemment voire encore en cours d’installation (Marie Carroget, relève du Domaine de la Paonnerie, à écouter dans cet épisode de « Casseroles »), sont tombées dans la cuve petites ou ont déjà eu une carrière autre avant, rock and roll ou plus contemplatives.
Le choix d’une grammaire et d’un vocabulaire inclusifs (« matrimoine » au lieu de son équivalent masculin commun) qui, contrairement au vin bleu, est parfaitement digeste, voire nécessaire vu l’ouvrage, la visibilité des femmes passant aussi par la langue (une explication claire). Et c’est bien ce souci de visibilité qui a fait naître cet ouvrage, replacer les femmes dans l’histoire de la vigne avec son lot de stéréotypes et croyances sexistes à démonter (peur de catastrophes, dépréciation de l’ivresse féminine alors que la masculine est acceptée, mythe du « vin féminin »), du manque d’existence officielle (peu ou pas payées ni déclarées, à des postes de petites mains ou « femme de »), pour leur donner un nom à part entière, un visage et la parole. Sandrine Goeyvaerts ayant presque vingt ans de bouteille, cette réflexion est donc de longue maturation, car certes les femmes ont réussi à s’imposer comme vigneronnes à part entière il reste encore à faire. C’est notamment le bilan de la première rencontre Women Do Wine, qui a aussi permis de célébrer des parcours, parce qu’il y a pas de que des « Homme de l’année » dans le vin – en référence à la récompense qui lui a été remise en 2014 par La Revue du Vin de France (rebaptisée depuis « Personnalité de l’année », et elle n’y est pas pour rien).
Vigneronnes est à ranger à côté de Cheffes, également paru chez Nouriturfu. C’est une lecture militante et instructive qui donne envie d’en discuter chez la caviste près de chez soi. Ça tombe bien, une liste est proposée, qui comprend Emeline Macé chez Re[wine]d à Rennes, qui ouvrira le mercredi 3 septembre, et six autres adresses en Bretagne. À celle-ci s’ajoute Aurélie Denais, caviste et sommelière itinérante qui officie au marché des Lices le samedi avec talent. Le mot de la fin est à l’autrice : « femmes vigneronnes, je vous aime ! »
Sandrine Goeyvaerts, Vigneronnes, 100 femmes qui font la différence dans les vignes de France, éditions Nouriturfu, 168 pages, 18 euros, publié le 22 août 2019.