Créatrices : empouvoirement aux Beaux-arts

Exposition féministe présentée par le musée des Beaux-arts de Rennes, Créatrices déploie un panorama de 80 œuvres de femmes artistes du moyen-âge à nos jours. Une occasion de (re)découvrir des artistes très reconnues et d’autres plus inattendues, toutes offrant une vision du monde singulière, intensément parcourue par la lutte contre le patriarcat et la quête d’une visibilité. À voir jusqu’au 29 septembre.

 

Bien que ses dimensions soient relativement modestes, cette exposition est très ambitieuse par son propos sur la libération des femmes. Dès l’entrée on est saisi par la grande sculpture textile de Raymonde Arcier, Au nom du père (1976) représentant une immense femme nue, les jambes écartées et les bras en croix, comme crucifiée par les tâches ménagères, entre maternité et sexualité imposées. À cette œuvre répond la sculpture en marbre de Persée et la Gorgone (1902) par Camille Claudel, figurant le héros grec décapitant la Gorgone dont le visage est un autoportrait de Claudel elle-même. Bien que ces deux œuvres soient réalisées dans des styles extrêmement différents, un réalisme expressionniste virtuose pour Claudel et une approche plus naïve et ‘art brut’ chez Raymonde Arcier, la question sous-jacente est la même : comment exister dans un monde organisé par et pour les hommes ?

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À gauche, l’œuvre de Camille Claudel, à droite celle de Raymonde Arcier

Le parcours de l’exposition est divisé en cinq grandes thématiques telles que la représentation de soi par l’autoportrait, la revalorisation des arts dits ‘féminins’ comme le textile, la violence et l’interdit, pour finir avec une thématique plus rarement explorée qui est celle de la spiritualité en art. Il présente des travaux réalisés depuis la renaissance jusqu’à l’art contemporain.  Voici quelques œuvres ayant particulièrement retenu mon attention au fil de la visite :

Le baiser de l’artiste (1977) et les photos d’Orlan expriment la dialectique bien connue entre mère, vierge et putain tandis que les photos d’œuvres de land-art de Ana Mendieta questionnent la figure de la terre-mère primitive.

Une des œuvre les plus marquantes de l’exposition par son parti pris intellectuel est une reprise dessinée du célèbre tableau d’Artemisia Gentileschi Judith décapitant Holopherne (1611). Ce travail de Léa Lublin Le milieu du tableau (1979) transforme de façon très psychanalytique l’épée en pénis et la décapitation en accouchement, renforçant par là le geste initial de Gentileschi, lui offrant une résonance nouvelle.

Un espace est consacré au travail du fil et au tissage avec une œuvre d’Annette Messager, Ma collection de proverbes (1974), reprenant en broderie des plaisanteries misogynes pour mieux les ridiculiser.

Dans la dernière salle consacrée à la spiritualité se font face une sculpture de Louise Nevelson et une peinture de Georgia O’Keeffe, le bois noir évoquant un secret intérieur et insondable de Nevelson répondant à la sensualité florale et érotique de O’Keeffe. Ceci illustre une dimension autre et importante pour beaucoup de créatrices, celle du rapport intime et visionnaire avec le cosmos.

Cette exposition insiste sur la dimension politique de la pratique artistique des femmes. En effet, bien que très actives tout au long du XXe siècle, elles sont été extrêmement peu retenues dans l’histoire de l’art, notamment dans les grands mouvements avant-gardistes qui ont jalonné le siècle. De plus le commissariat des expositions est encore aujourd’hui majoritairement assuré par des hommes, ce qui contribue à une vision purement ‘masculine’ de l’histoire de l’art.

On peut d’ailleurs se demander s’il ne pourrait pas émerger au fil des recherches une autre histoire, non pas faite de ce mouvement incessant de ‘ruptures’ et de ‘dépassements’ propre aux avant-gardes jusqu’ici tellement valorisées, mais plus holiste, tournée vers une forme d’expression du moi intérieur et d’élan vers une transcendance. Il est bien sûr difficile voire impossible d’y répondre en étant conscient que la personnalité de ces artistes est en partie modelée par l’oppression subie qui les a rendues (structurellement) illégitimes et par la-même contraintes à privilégier certaines thématiques, comme une forme de masochisme bien visible chez Gina Pane (pionnière de l’art corporel) ou Claudel. On rêve d’un monde où les femmes n’auront plus à se justifier sur le fait ‘d’être une femme’ et exprimeront spontanément leurs pulsions sans référence obligée à leur genre. Mais pour l’instant il est sans doute impossible de faire l’impasse sur des millénaires d’invisibilisation.

Helena Almeida Pintura habitada, 1975 Photographie en noir et blanc, peinture acrylique, 46 × 50 cm Porto (Portugal), collection Fundação de Serralves, | © FUNDAÇÃO DE SERRALVES, PORTO#/

Helena Almeida Pintura habitada, 1975. Photographie en noir et blanc, peinture acrylique, 46 × 50 cm Porto (Portugal), collection Fundação de Serralves | © FUNDAÇÃO DE SERRALVES, PORTO#/

Heureusement, loin d’être figée, l’histoire de l’art est en constante réécriture, chaque époque venant bousculer les hiérarchies établies hier à la lumière des passions du présent. Aujourd’hui les femmes ont le désir de fonder une nouvelle généalogie en allant (re)mettre à l’honneur les artistes qui les ont précédées.

Cette exposition est complétée par l’exposition à La Criée At the gates du 25 juin au 25 août 2019

Le site des Beaux-arts de Rennes

Le site de La Criée

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