Le vin nature à travers la corne de vache et le microscope

Le festival Vinicircus approchant à grands pieds (de verre) c’est l’occasion de découvrir des ouvrages qui y seront présentés, à la gloire du bon vin nature. Après le recueil des étiquettes « bêtes et méchantes » de Gérard Descrambe, un peu de théorie avec l’enquête anthropologique de Christelle Pineau, La corne de vache et le microscope, aux origines de ce vin si particulier dans la production actuelle.

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On le connait depuis cinq à sept mille ans en Géorgie, a accompagné les femmes et les hommes depuis et ailleurs, et interroge encore. Le vitis vinifiera sylvestris, la variété de raisin qui s’est démarquée pour ses qualités à la vinification, a été cultivé, maîtrisé, voire enfermé – on pense aux vins bodybuildés aux copeaux de chêne favoris de Robert Parker. Mais au cours du vingtième siècle, des vigneron·ne·s ont décidé de s’émanciper du modèle vitivinicole productiviste et des addictifs de synthèse, pour se consacrer entièrement à l’élaboration d’un vin naturel, avec les outils biodynamiques proposés par Rudolf Steiner (la corne de vache) ainsi que des recherches comme celles de Jules Chauvet (le microscope).

Les vins « nature » voyagent et font voyager, dans l’espace et dans le temps, que ce soit sur la piste du vin des aïeux ou vers d’autres contrées, physiques ou symboliques, ils incarnent le dépassement et se jouent des limites. Nés de la volonté de remettre de la vie dans les vignes et dans ce que l’on boit, ils en appellent au réveil des sens.

Ce sont ces personnes que Christelle Pineau est allée rencontrer pour cette recherche. Elle est docteure en anthropologie sociale et ethnologie, chercheuse associée à l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain de l’EHESS, et passionnée de vin. Elle s’est notamment rendue dans le Minervois, au Petit Domaine de Gimios, univers d’Anne-Marie Lavaysse qui cohabite avec ses plantes (pas que des vignes), ses animaux et son entourage humain. Ce reportage, écrit avec beaucoup de tendresse et de précision, est un point important de l’ouvrage qui met en lumière le cœur du sujet : le vin nature est autant affaire de culture, de vinification que de rapport au vivant dans sa globalité, impose de repenser sa relation au monde entier comme étant une zone à défendre pour aujourd’hui et demain. En effet, l’ouvrage s’achève sur la question de la transmission, des savoirs et des pratiques, qui peut aussi commencer dès le verre en choisissant de soutenir cette production vertueuse – et le plus souvent délicieuse – plutôt que la conventionnelle qui n’offre rien de vraiment bénéfique.

C’est une lecture un peu ardue mais bien structurée et documentée pour ne pas s’y perdre, que chaque personne peut lire à son rythme pour (re)découvrir le vin nature sous l’angle historique, culturel, du genre (un chapitre étudie la place des femmes dans ce milieu). Elle brise les divers clichés qui peuvent rebuter les buveuses et buveurs timides (vin pour bobo parisien·ne ou illuminé·e alchimiste, de mauvaise qualité car souvent hors AOC) et documente avec équilibre ce jus qui fera encore longtemps parler de lui.

Christelle Pineau, La corne de vache et le microscope, le vin « nature », être sciences, croyances et radicalités, éditions La Découverte, 248 pages, 20 euros, publié le 14 février 2019.
L’autrice présentera cet ouvrage ce samedi 13 avril lors de la Vinicauserie du festival Vinicircus. En attendant on peut l’écouter dans cette émission récente de La suite dans les idées sur France Culture.

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