Si tout n’a pas péri avec mon innocence d’Emmanuelle Bayamack-Tam : un roman qui frôle plein de sujets (la rage de la jeunesse, l’immaturité des parents, le harcèlement, le suicide, la reconversion professionnelle, l’infertilité, les opportunités non saisies, la quête du beau et la désolante médiocrité des uns et des autres).
« Avec Baudelaire, c’était la première fois que je pressentais que la poésie pouvait ne pas être vaine et mièvre. » (p. 43)
Kimberley, « Kim », est issue d’une famille nombreuse, entourée de 2 sœurs, choyées par leur mère, et 2 frères jumeaux, Lorenzo et Esteban, quant à eux complètement négligés par celle-ci. Les boy-friends, insignifiants, de ses sœurs et les grands-parents, Charles le dandy sans pudeur et l’énergique Claudette nostalgique de sa vie passée à Alger aux tendances neurasthéniques, vivent également sous ce même toit. Le père, tatoueur, est fan de Patti Smith, tandis que la mère, Gladys, entame, sur le tard mais dans l’euphorie (malgré un bec-de-lièvre qui pourrait s’avérer handicapant), une carrière de strip-teaseuse burlesque.
Au sein de cette tribu, Kim cherche l’équilibre, qu’elle trouve en s’en éloignant, en se plongeant dans la lecture de Baudelaire, Hugo ou Mallarmé, en s’adonnant à la gymnastique rythmique de haut niveau ou dans la fréquentation d’une vieille sorcière philanthrope, Gladys également, qui fut sage-femme, infirmière sulfureuse et prostituée (l’époque est à la flexibilité professionnelle et à la marchandisation des corps).
« Qui est-ce ? me souffle Gladys fine connaisseuse en matière de beauté féminine.
- La meilleure amie de Lorenzo : Charonne. Sa seule amie, en fait.
- Elle ressemble à la Daphné de Wenzel Jamnitzer : tu connais ? [Ndr : comme on est sympa à L'Imprimerie, on vous épargne une recherche sur un moteur de recherche pour en savoir plus sur cette Daphné - voir ci-contre]
- Pas du tout.
- Il faudrait que tu ailles au Musée national de la Renaissance. Histoire de ne pas mourir idiote. » (p. 320)
Récit caustique de l’enfance, puis de l’adolescence, d’une Marseillaise au tempérament rebelle et libertaire, Si tout n’a pas péri avec mon innocence (excellent titre !) raconte comment se construit une personnalité et comment la vie se charge d’éroder les candeurs, de marquer les corps, de bousiller également tout ce qui est par trop fragile. Grandir est à ce prix, ça ne se fait pas sans douleur, sans deuils ni sans perdre quelques plumes – on le savait, mais c’est ici écrit avec une bonne dose d’humour sarcastique et un brin d’émotion, alors ça passe plutôt bien, voire ça met du baume au cœur.
Si tout n’a pas péri avec mon innocence, roman d’Emmanuelle Bayamack-Tam – Folio, 382 pages – P.O.L. Éditeur – Prix Ouest-France Étonnants voyageurs 2013.