Welcome to Marwen : imaginaire salvateur

Depuis son retour au cinéma traditionnel en 2012 avec Flight, Robert Zemeckis semble pris d’une frénésie créative, enchaînant les projets à un rythme ahurissant, avec The Walk (2015) le formidable Allied (2016), et aujourd’hui Welcome to Marwen. Alliant cinéma virtuel et prises de vues réelles, Zemeckis nous raconte l’histoire (vraie) de Mark Hogancamp, illustrateur de comics fortement diminué suite à une agression qui l’a laissé quasiment mort, et qui se remet de son traumatisme par la photographie.

Hogancamp met en scène (avec des poupées) les péripéties de Hogie, pilote américain de la Seconde Guerre mondiale qui s’écrase non loin de la ville fictive de Marwen en Belgique, où il vit aux côtés des “Femmes de Marwen”, qui l’aident à combattre des nazis. Chaque poupée étant une représentation d’un personnage du film, elles sont toute interprétées en performance capture par les acteurs leur correspondant, et les scènes à Marwen sont réalisées en cinéma virtuel (pour en apprendre plus sur le sujet, voir ici).

Leslie Mann et Steve Carrell, ici sous la forme de leurs doubles de plastique.

Leslie Mann et Steve Carell, ici sous la forme de leurs doubles de plastique.

Précurseur de cette méthodologie, Robert Zemeckis avait malheureusement essuyé de violents échecs commerciaux (en France) et critique (partout) avec ses trois films utilisant cette technologie, Polar Express (2005), Beowulf (2007), et A Christmas Carol (2009). La majorité de la presse (particulièrement en France) avait alors montré une certaine difficulté à comprendre le procédé dont il était question et la révolution qu’elle impliquait ; les trois longs-métrages avaient d’ailleurs été relégués au rang de… dessin animé. À l’instar d’un Cameron sur Avatar (2009) et Spielberg sur Ready Player One (2018), c’est par la ruse que Zemeckis fait ici accepter ce procédé de tournage au spectateur : tous les personnages principaux ayant leur équivalent de plastique, les acteurs interprètent deux rôles, un en prise de vues réelles et un en perf-cap.

Après une intro en cinéma virtuel, la caméra effectue un habile travelling arrière au travers d’un objectif d’appareil photo pour repasser à la prise de vue réelle, explicitant par la réalisation la clé du film : les scènes à Marwen sont des réécritures fantasmagoriques de la vie de Hogancamp qui l’aident à soigner son traumatisme en lui permettant de mieux appréhender la réalité. Il passe donc par l’art (et, indirectement, la mise en scène) pour exorciser ses démons et exprimer ses angoisses, fantasmes, obsessions.

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Zemeckis utilise la dualité du film pour jouer de la violence dans son film. Très crue et graphique à Marwen (notamment une immolation de nazis avant de les mitrailler), elle est toutefois désamorcée par le fait qu’on ne montre « que » des poupées trucidées. Idem, étonnamment, pour les deux flashbacks où l’on voit l’agression d’Hogancamp, sur lesquels le film passe rapidement. En revanche, il utilise le mixage et fait exploser certains sons pour nous fait vivre pleinement l’horreur du stress post-traumatique de son personnage, dans des scènes d’une extrême intensité. Celles-ci se concluent d’ailleurs toujours par une apparition des poupées qui prennent le pas sur le réel et aident Hogancamp à survivre, qui s’échappe littéralement de l’horreur de son stress par ses doubles de plastique. Toute la vérité du film est contenue dans l’introduction : après une violente agression, Hogancamp est sauvé par les femmes de Marwen.

Pour servir le propos de son film, le réalisateur va déployer une mise en scène d’une formidable élégance, toute en plans-séquences et travelling légers (discrets, quasiment effacés) dans la « vraie » vie, et au contraire ultra-dynamique et quasi expressionniste pour les séquences impliquant les poupées. Hogancamp ayant été illustrateur sur une série Action Comics, Zemeckis rend un hommage évident aux comics pulp des années 40 par les dialogues, très désuets. La sorcière Deja Thoris, qui hante Hogie  (cf. l’utilisation du bleu turquoise à l’écran) porte le même nom que l’épouse de John Carter, dans le pulp homonyme. Avec l’aide du directeur de la photographie C. Kim Miles (qui apporte une incroyable lumière au film), Robert Zemeckis fait aussi de Marwen un condensé du cinéma de cette même décennie, enchaînant les références : le film de guerre, naturellement, mais également le serial d’aventure, le film noir, etc.

Jannelle Monae et Steve Carrell, sous la sublime lumière de C. Kim Miles

Eiza Gonzalez, Jannelle Monae et Steve Carell, sous la sublime lumière de C. Kim Miles.

Zemeckis dresse un parallèle évident entre son personnage et lui-même, le travail de mise en scène et de photographie renvoyant explicitement à celui de réalisateur. Citons aussi une certaine obsession d’Hogancamp pour la chose érotique que l’on retrouve çà et là dans toute la filmographie du réalisateur, entre l’éjaculation précoce de Forrest Gump, l’inceste de Retour vers le Futur (ou ici, le plus évident : une des femmes de Marwen, Suzette, est l’actrice X préférée de Hogancamp, et est interprétée par l’épouse de Zemeckis).

Au travers de ses derniers films, et Marwen ne fait pas exception, Robert Zemeckis nous rappelle pourquoi, fondamentalement, nous aimons le cinéma. Il ne s’agit pas de l’histoire que l’on nous raconte, ni de l’intérêt que l’on peut avoir pour les thèmes abordés, mais bien de mise en scène. Voir un réalisateur déployer pleinement les outils mis à sa disposition par son médium, voilà ce que nous cherchons dans les salles obscures. Assurément parmi les long-métrages les plus riches et les plus signifiants du réalisateur, d’une mise en scène incroyablement élégante et très inventive, Welcome to Marwen est un excellent film,  il est urgent d’aller le voir en salle.

Welcome to Marwen, film de Robert Zemeckis, 1h56,  avec Steve Carell, Leslie Mann, Diane Kruger, Janelle Monae.

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