Festival TNB : Splendid’s

Après La Dame aux camélias en octobre,  le  directeur du TNB, Arthur Nauzyciel, a présenté du 15 au 18 novembre Splendid’s, une création de 2015 adaptée d’un texte inédit de Jean Genet. Un hommage feutré et sensuel à la beauté des corps masculins, à la voix de Jeanne Moreau et au cinéma noir des années cinquante.

 

« Si je voulais qu’ils fussent beaux, policiers et voyous, c’est afin que leurs corps éclatants se vengeassent du mépris où vous les tenez. » Jean Genet, Journal du voleur

Un écran blanc obstrue la grande scène du TNB. La lumière s’éteint et laisse place à la projection du court-métrage Un Chant d’amour de Jean Genet (1910-1986), réalisé en 1950 et sorti vingt-cinq ans plus tard, en 1975, victime de la censure. Un brûlot charnel qui traite de l’homosexualité en captivité par le prisme d’un maton fasciné par la sexualité solitaire des prisonniers sous sa surveillance.  Soudain, des pieds nus en mouvement ou une silhouette allongée avec une mitraillette apparaissent sous l’écran.  Le film s’achève, le rideau se lève et les corps s’incarnent. De l’écran à la scène. De l’image au réel. Toujours empreint du chant d’amour à travers le visage d’un prisonnier incrusté dans le mur qui continuera à planer comme une liturgie fantasmagorique sur le spectacle. Décors aux verticalités infinies comme pour toucher le ciel. Deux cloisons d’un couloir à angle mort se prolongent dans les hauteurs de la scène. Des luminaires à l’entrée de huit portes-chambre éclairent une moquette verte velours. Ambiance de luxe feutré. Nous sommes au septième étage du Splendid’s hôtel, sept  gangsters en sursis et un policier déserteur, complice puis traître, viennent de kidnapper et d’étrangler la fille d’un milliardaire. Encerclés par la police, il leur reste deux heures à vivre.

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Le condamné à mort, thème récurrent dans l’œuvre de Jean Genet. Splendid’s, pièce écrite  entre 1944 et 1948, lors de séjours récurrents en prison, puis reniée. Elle ressortira des limbes en 1993. Et sonnera le glas de l’intérêt de Genet pour la marge et le crime. Un chant du cygne. Sur scène, les gangsters aux muscles tatoués se heurtent, se bousculent, se fracassent,  se déchirent, se tuent. Beauté des corps glabres et des peaux d’opaline ou d’ébène. Les malfrats, appelés la Rafale, Johnny, Bob, Riton, Bravo, Scott, évoluent en slip/caleçons. Sur les pas d’Un Chant d’amour, la sensualité bouscule la tragédie des garçons maudits. Mon dernier, c’est désir. La voix d’outre-tombe de Jeanne Moreau surgit d’un poste de radio au sol et commente l’avancée de la charge des policiers. Flash spécial qui interrompt les logorrhées et agit comme un compte-à-rebours de la mort en action. Pont entre l’extérieur et l’intérieur. Entre l’iconographie et la matière brute. Entre le théâtre et le cinéma.

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Splendid’s se scinde en deux parties comme deux longs plans-séquence théâtralisés en anglais avec des sous-titres en français sur des écrans à chaque bout du couloir. Arthur Nauzyciel a délibérément choisi la traduction qui demande une attention permanente au public plutôt que le choix d’un texte en français. À l’image d’un film noir en VO avec les caractéristiques esthétiques inhérentes : lumières contrastées avec de larges plans dans l’obscurité, décors urbain et espaces restreints. Pour que le théâtre se transforme en tribune de désir absolu, en crypte mortuaire sublimée par l’image rêvée.  In fine,  la voix de Jeanne Moreau s’étiole dans la pénombre. Ultime scène d’une discussion-mitraillette. Les corps désormais habillés de redingotes des gangsters entament une danse macabre synchrone telle un slow-motion tarantinesque. Et dans ce fatras morbide dans le couloir du septième et dernier étage du palace ne subsiste plus que le silence de la beauté désarticulée. L’adieu aux armes. Un chant d’amour splendide pour l’éternité.

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