Le monde de Sophie de Jostein Gaarder : une vulgarisation ambitieuse de deux mille ans d’hypothèses nées de cerveaux humains brillants.
La philosophie est un mot de plus de 3 syllabes qui fait peur, impressionne, rebute ou déclenche le mépris de ceux qui, en cas de coup dur, l’invoqueront néanmoins pour tenter d’accepter « avec philosophie » un déboire amoureux, un échec professionnel, une fracture tibia-péroné, un tsunami ou une banale tuile qu’on aurait préféré voir tomber sur quelqu’un d’autre que soi.
Par le biais d’un roman – contenant lui-même un roman, puisqu’il s’agit de l’histoire d’une ado de bientôt 15 ans, Hilde, qui lit un livre unique offert et écrit par son père, alors en mission onusienne au Liban, dans lequel Sophie, une jeune fille de son âge, est initiée à la philosophie par le très érudit Alberto Knox et son très obéissant chien Hermès –, le Norvégien Jostein Gaarder s’ingénie à, sinon nous réconcilier avec la philosophie, au moins la désacraliser, la vivifier et à nous exposer quelques-unes des grandes figures de la pensée occidentale. Il brosse les grandes lignes de leurs théories. Remontant à l’Antiquité grecque, il déroule avec pédagogie un fil chronologique qui nous convainc assez rapidement que nos pensées d’aujourd’hui les plus abouties sont le fruit, ou les héritières, d’une pensée ancienne – née en même temps que l’humanité et que le besoin de comprendre le monde et ses mystères physiques ou métaphysiques – qui n’en finit pas de se déployer.
Il convoque ainsi Empédocle, Démocrite, Socrate, Aristote, mais aussi Descartes, Hobbes, Berkeley, Kant, Hegel, Darwin, Marx, Kierkegaard, etc. Le monde de Sophie n’est bien sûr pas exhaustif, mais le projet du père de Hilde, en écrivant ce cours magistral, consistait plutôt à captiver suffisamment sa fille, avec moult astuces scénaristiques un peu magiques, pour lui refourguer, en prime, des outils intellectuels, afin qu’elle aborde l’existence et la vie d’adulte avec une sagesse certaine, si bien que la lecture de cet ouvrage bénéficiera aux futur·e·s bachelier·ère·s par exemple qui auront un jour une épreuve en la matière à passer, à tou·te·s les imbu·e·s convaincu·e·s de détenir LA vérité, ou à tous ceux et toutes celles qui pourraient avoir un de ces quatre envie d’une vision panoramique de la pensée philosophique européenne pour se sentir moins démuni·e·s dans les conversations pointues de fin de soirée.
« Deux choses ne cessent de remplir mon cœur d’admiration et de respect plus ma pensée s’y attache et s’y applique : le ciel étoilé au-dessus de ma tête et la loi morale en moi. » [À lire sur la tombe d’Emmanuel Kant (1724-1804) né et enterré à Königsberg] p. 335
Le monde de Sophie de Jostein Gaarder, Oslo, 1991, Éditions du Seuil, Paris, 1995, traduit et adapté du norvégien par Hélène Hervieu et Martine Laffon, 560 pages.