La belle et la meute de la Tunisienne Kaouther Ben Hania : basée sur un fait divers sordide, une leçon de politique et de vivre ensemble.
Alors que fleurissent sur les réseaux sociaux les hashtags « #balancetonporc » et « #metoo » pour dénoncer les dérives d’une société qui ferme encore trop souvent complaisamment les yeux devant les violences faites aux femmes, je me décide à aller au TNB – alors investi par le staff de Court-Métrange – pour voir ce film tunisien plusieurs fois nominé à Cannes.
La nuit promet d’être longue pour Mariam (Mariam Al Ferjani) et son « fiancé » Youssef (Gahnem Zrelli)…
C’est l’histoire de Mariam, jeune Tunisienne plantureuse, pleine de vie, de beauté et d’allant, sexy et un peu libérée (mais pas trop quand même) des carcans commandés par une interprétation coercitive des mœurs et de la religion et (sinon ce ne serait pas drôle) imposée par le « sexe fort »* (Mariam Al Ferjani). Un soir, aux abords d’une fête étudiante, elle se fait violer par des flics en patrouille. Cette nuit d’horreur n’est pas sans rappeler celle vécue à l’Algier Motel dans Detroit de Kathryn Bigelow par une bande de jeunes Noirs tombée entre les griffes de forces de l’ordre folles de rage et transpirantes de haine à grosses gouttes.
Mariam souhaiterait évidemment porter plainte – sans que ses parents ne soient mis au courant de préférence. Mais elle aurait au préalable besoin d’un certificat médical attestant des violences subies. Pour obtenir celui-ci, elle aurait besoin de ses papiers d’identité, perdus lors de l’agression, et d’un peu de compassion – mais ce sentiment-là semble être monnaie rare dans cette configuration. Aux urgences et aux services gynécologiques puis auprès du médecin légiste, nul ne lui vient vraiment en aide. Tous, se réfugiant derrière des « lois » administratives préférées aux lois naturelles de l’entraide, se renvoient la patate chaude. On lui conseille d’aller directement à l’hôtel de police, où les policier·ère·s de garde cette nuit-là, visiblement formé·e·s durant l’ère Ben Ali (réélu 5 fois consécutivement ente 1987 et 2011) à une époque où les droits de l’homme n’étaient pas parmi les priorités, vont multiplier les sarcasmes, les accusations d’atteinte aux bonnes mœurs, les intimidations, les menaces, les chantages, les violences, les pressions, les manipulations, les cruautés, les incompétences, les perversions, les entorses au droit, les atteintes à la dignité (je stoppe là l’énumération, je crois que vous avez compris l’idée) et les ruses pour qu’elle abandonne ses charges contre les collègues pourtant véreux jusqu’à la moelle.
Dans cette Tunisie corsetée encore très patriarcale** qui émerge lentement après les soubresauts sanglants de la révolution de 2011, il y a encore du chemin à faire pour que les droits des femmes soient reconnus et la loi du plus fort démantibulée. Avec ce film aux longs plans-séquences habiles à montrer l’épreuve qu’endurent Mariam et Youssef, un pas de plus est néanmoins fait dans cette direction. Et il y a fort à parier que si le jury cannois dans sa grande perspicacité a failli le récompenser, c’est aussi sûrement en espérant que sous les cieux de notre joyeuse république hexagonale, itou, soit pris au sérieux le sort parfois compliqué réservé au « sexe faible »***.
* L’auteur de cette chronique est désolé d’employer cette formule mâtinée de millénaires de manque de considération envers la gente féminine.
** Où les hommes, en meute, sont gros, laids, fourbes, tatoués, armés, indifférents au malheur, crient, fument au bureau, sont violents, veules et mauvais – sauf Youssef (Gahnem Zrelli), le jeune boyfriend militant pas né du dernier sit-in qui a accompagné la pauvresse durant une grande partie de ce marathon nocturne pour faire entendre leurs droits et l’un des policiers qui a conservé une déontologie digne d’un vrai service public.
*** Voir note* ci-dessus. Les débats restent ouverts.
La belle et la meute – Drame (inspiré de faits réels et de Coupable d’avoir été violée de Meriem Ben Mohamed et Ava Djamshidi, paru chez Michel Lafon) de la Tunisienne Kaouther Ben Hania – Avec Mariam Al Ferjani, Gahnem Zrelli… – Musique de Amine Bouhafa et DJ Tora – Durée 1h40 – Sortie en France le 18 octobre 2017.