Detroit, de Kathryn Bigelow

Detroit de l’Américaine Kathryn Bigelow : zoom sur une ville industrielle des années 60 qui, via des émeutes, l’intégration sociale ou les tubes produits à la chaîne par la Motown, fut un berceau de revendications de la part d’une communauté afro-américaine muselée de part en part.

Les violences militaro-policières sont sûrement aussi vieilles que l’humanité. Remémorons-nous, à titre d’exemple, sans vouloir fâcher quiconque, la répression romaine envers la troupe d’esclaves commandés par Spartacus (vers -100 av. J.-C., -71), laquelle répression amena six mille d’entre eux à être crucifiés le long d’une voie pavée entre Rome et Capoue. Armés (d’un glaive et/ou d’un livre de lois), et donc a fortiori dangereux, les représentants de l’ordre, les garants de la pensée dominante, sont par principe couverts par l’État qui les diligente pour faire régner la concorde et calmer les ardeurs dissidentes. Ainsi, selon la nature de l’État, les polices se feront-elles plus ou moins tendres.

Dans Detroit, il s’agit de la police états-unienne. Le pays, en 1967, est alors connu pour ses lois ségrégationnistes (lesquelles, de nos jours, ont pour certaines encore cours), pour son interventionnisme musclé en Europe, en Corée ou au Vietnam, ou pour les quelques persistances résiduelles des temps esclavagistes – les Noirs ne travaillant plus dans les champs de coton de leurs maîtres, mais dans les usines de leurs patrons.

Concentrés dans des ghettos où les policiers Blancs assouvissent leurs penchants racistes et leur violence aveugle, les Noirs ne sont pas tous les jours à la fête. Et c’est d’ailleurs parce que les policiers s’ingèrent dans l’une de celles-ci – certes clandestine – que des émeutes vont éclater et embraser Detroit cet été-là.

La police, les pompiers, l’armée*, la garde nationale, les hommes politiques qui appellent au calme – en déplorant les actes de vandalisme commis par des délinquants, des drogués ou des gauchistes** –, un couvre-feu, etc., tout un arsenal d’exception est déployé. C’est donc dans ce cadre insurrectionnel que se déroule l’action de Detroit. La naissance de la violence, de la rage, de la colère est saisie par la réalisatrice Kathryn Bigelow***. L’injustice, la répression répétée, les années de joug, les revendications civiques bafouées, forment un cocktail qui alimente un sentiment de désespoir à même de mener une population à cette alternative : la liberté ou la mort.

Detroit_dos-au-murMains au mur sous l’oeil intransigeant d’un flic aux méthodes répréhensibles (Will Poulter), Larry Reed (Algee Smith) du groupe de soul montant The Dramatics et ses compagnons de galère ne sont pas sortis de l’auberge, en l’occurrence l’Algier Motel.

Harcèlement policier à l’encontre des citoyens Noirs, criminalisation des victimes – Noires –, suspicion des témoins quand ils sont Noirs, ou s’ils sont Blancs et ont le malheur de fricoter avec des Noirs. Impunité quasi totale des policiers assassins, Blancs – couverts par une justice partiale – jury composé à 100 % de Blancs… Les mécanismes de l’inégalité des droits en fonction de la couleur sont ici superbement mis en musique (grâce à quelques perles de la Motown, elle aussi native de Detroit) et clairement mis en lumière, via ce focus sur un fait divers dramatique : l’homicide, à bout portant et de sang-froid, lors d’une nuit d’horreur, de 3 Afro-américains par des fonctionnaires de police assermentés, Blancs grisés par le pouvoir de l’uniforme et contaminés par de violents instincts xénophobes et virilistes.

Si Detroit semble être pour certains une révélation, un film coup de poing, il ouvre surtout des portes grandes ouvertes : celles dans lesquelles Martin Luther King (1929-1968), les Black Panthers et autres militants des droits civiques mirent le pied. Celles aussi que les suprématistes Blancs et autres tenants de la guerre entre les peuples préfèreraient voir fermées. Reste à savoir si ceux qui prennent conscience de ce phénomène américain ont pareillement conscience que la France**** – comme le rappelèrent les récentes affaires Adama Traoré, Théo, Babacar, Rémi Fraisse*****, etc. – n’est pas épargnée par ce mal.

* Les militaires ont généralement cette vieille habitude d’aller répandre la terreur et la désolation en terres étrangères, sous quelque vil prétexte, puis de revenir vers leurs bases, « auréolés » de la barbarie perpétrée aux antipodes et qui sonne comme un avertissement auprès de leurs propres concitoyens qui auraient été tentés pour x raisons de cultiver l’insoumission anti-gouvernementale.

** Par paresse intellectuelle (ou idéologie), les hommes politiques ont toujours été enclins à regarder les effets, l’écume des évènements, plutôt qu’à se pencher sur les causes, leurs racines profondes.

*** À qui pour la petite histoire on doit déjà le mythique Point Break (1991) avec Patrick Swayze et Keanu Reeves.

**** « La vraie passion de la France n’est pas le foot mais le racisme » entend-on dans Les matins sous la Lune, le 9e album de VII après son premier skeud nommé Lettres mortes (cf. La Revue de 16 de septembre-octobre).

***** Rémi Fraisse (1993-2014) certes pas Noir… mais  « gauchiste », fut victime d’un système de répression judiciaro-militaro-gouvernemental bien huilé, ses assassins restant à ce jour impunis.

Detroit, film américain de Kathryn Bigelow – Durée : 2h23 – Déconseillé aux moins de 12 ans – Musique de James Newton Howard – Sortie en France le 11 octobre 2017.

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