[Interview] Juan Rozoff au 1988 Live Club

Pionnier de la scène funk « à la française », Juan Rozoff se produira à Rennes le 2 juin à l’occasion de la 20e édition de la Funky Fresh Party. L’occasion de quelques questions sur son parcours. Attention, cet entretien contient quelques pépites et des champignons. Et une belle mémoire musicale.

 

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Pour ceux qui ne te connaitraient pas pourrais-tu résumer ton parcours musical ?

Je m’appelle Juan Rozoff, musicien, 51 ans. À 9 ans je découvre les disques de ma cousine Yasmina. Il y a là pêle-mêle les MERVEILLEUX Beatles, les Boomtown-Rats, Joan Baez, puis ce disque vinyle tiré d’une comédie musicale sur la vie d’Elvis que ma mère vient de m’offrir…

Pendant ma rougeole (cette maladie si répandue à l’époque a-t-elle disparu ? En tout cas aucune de mes trois filles – 13, 9 et 3 ans – ne l’a eue… Bref !) j’écoute en boucle un disque de Brassens, et un autre de Boris Vian. Ah, et puis aussi du Mouloudji, Colette Magny sans oublier les chansons bouleversantes de Serge Reggiani.

« Je commence à jouer de l’air-guitar (…) sur ma raquette de tennis »

Je prends pendant un an et demi des leçons de piano classique, mon prof me trouve doué et s’appelle monsieur Moralès, un chouette type portugais. Ses mains sont velues et épaisses (on dirait deux tarentules se déplaçant à toute vitesse sur le clavier !), pourtant il joue très finement… Je découvre les disques de Flamenco de ma mère : La Niña de los Peines, El Lebrijano, Bernarda y Fernanda de Utrera, Antonio Mairena, etc. Puis la révélation ABSOLUE, définitive et irréversible, avec l’album de Camaron de la Isla, avec Paco de Lucia à la guitare !

 

Je commence à jouer de l’air-guitar (ça ne s’appelait pas encore comme ça à l’époque…) sur ma raquette de tennis, puis de la vraie guitare avec un ami de ma mère, Jose Peña. J’ai 13 ans et pour moi, la musique, la seule, la vraie (hahahaha!) c’est le rockabilly de Gene Vincent ou d’Eddie Cochran, mais aussi le flamenco, toutes origines confondues.

« Mes idoles absolues s’appellent alors Little Richard, Paco de Lucia et Camaron de la Isla. »

13 ans. Je fais mon premier concert en tant que batteur de rockabilly. Je pars au Venezuela visiter mon cousin Alfonso (le frère de Yasmina) qui est parti s’installer là-bas avec sa mère, ma tante Irene…

Il écoute Ruben Blades, Hector Lavoe, Oscar de Leon et los Van-Van en boucle. Il y a la danse, il y a cette énergie phénoménale qu’est la Salsa. « Calle Luna, Calle Sol »… Mon Dieu CES CUIVRES ! Ces voix cuivrées ! J’accompagne aussi à la guitare ma mère qui récite de la poésie issue par exemple du romancero gitano de García Lorca, je joue le peu que je sais de soleas, bulerias, tangos, fandangos, tientos, tarantos, siguirriyas ou granainas… Mes idoles absolues s’appellent alors Little Richard, Paco de Lucia et Camaron de la Isla.

14 ans. Je suis en pension, et ma manière d’échapper à la morosité ambiante c’est de jouer de la batterie dans le local prévu à cet effet, et aussi d’écouter en boucle tous les albums d’AC-DC. De fil en aiguille , je me rends compte que ce que j’aime vraiment dans le rock, c’est son aspect « Black », et découvre le rythm’n'blues, sur les fameux vinyles de l’époque « Terrible rythm’n'blues » avec leur face A (rapide) et leur face B (lente). Wilson Pickett, Aretha Franklin, Otis Redding… Il va sans dire que ma préférence va vers la face A.

« on est aussi libres que le vent ! »

Je ne veux pas oublier le fait que, du fait que nos familles sont amies (immigration espagnole anti-franquiste quand tu nous tiens…), je suis souvent à Sêvres pour y passer le week-end chez les Chao, l’énergie de Manu (environ 16 ans à l’époque, moi je dois en avoir 12 ou 13…) et la cohésion de ses groupes Joint de Culasse ou Los Caroyos sont déjà quelque chose de palpable et tangible pour moi et mes oreilles. Je découvre chez les Chao la musique de Doctor Feelgood, Wilko Johnson, Iggy Pop and the Stooges… Son frère Antoine me fascine parce qu’il sait à 14 ans démonter et remonter un carbu de « chaudron », ou de « bleue »… Leur énergie, ainsi que celle de Santi, leur cousin batteur qui deviendra plus tard le batteur de la Mano Negra, (puis accessoirement mon futur patron chez Universal, mais ceci est une autre histoire, moins « jolie »…) sont alors très influentes dans mon jeune esprit !

En vacances ensemble en Espagne pendant plusieurs étés, on fait les 400 coups montés comme des Apaches sur des Montesa, ou des Fantic-motor, on assiste à TOUS les festivals possibles et imaginables, on est aussi libres que le vent ! Normal : on écoute Los Chichos, Los Chunguitos, Lole y Manuel, Triana…

 

Mes films fétiches sont De prisa, de prisa, les Blues brothers, Alien le huitième passager et 8 et demi de Fellini.

Les BD de Pratt, des Fabuleux Freak Brothers, de Margerin, de Tramber et Janno et consorts – avec les livres d’Issac Azimov et arthur C.Clarck – sont alors (pratiquement) mon unique lecture… Mes parents m’ont payé payé un abonnement à Fluide Glacial  ou à Métal Hurlant, je ne me rappelle plus…)

14 ans. Je monte mes premiers groupes.

On y compose à plusieurs, et même si c’est très chouette et formateur, il faut bien admettre que c’est le bordel, musicalement… Je commence donc, presque « en secret », à enregistrer tout seul mes premiers morceaux dans ma piaule.

16 ans. Ma copine de l’époque est réunionnaise et elle s’appelle Anne; elle m’emmène voir un concert de King Sunny Adé, musicien-sorcier, il nomme sa musique la Juju Music. Je découvre alors comme une révélation la MUSIQUE AFRICAINE, parallèlement au reggae de Marley, puis de Steel Pulse, Aswad… King Sunny Adé, le mbalax (que quelqu’un me donne l’orthographe exacte !) sénégalais de Youssou N’Dour, qui n’est pas encore à ce moment précis la star internationale que l’on connait aujourd’hui, la soukouss zaïroise, le Seigneur Rochereau, tout cet univers IMMENSE que constituent les rythmes et les harmonies africaines.

 

Je me rends compte que cette musique est le berceau, ni plus ni moins. Je « fais mes classes » avec des groupes de musiques africaine (les Kassmen, Bayembi Africa…), en tant que choriste préposé aux « petites percus » (tibois, cloche, etc.).

« (…) un blues profond qui REFUSE pourtant dorénavant d’être triste et pesant. »

Du rythm’n'blues et la soul je passe naturellement à le/la funk, leur fils/fille naturel(le) et hermaphrodite, mélange d’hommes et de femmes, de toutes couleurs. Je me rend compte que la musique de Mickael Jackson est dans mon ADN depuis belle lurette, via les Jackson 5, et que je ne m’en étais pas rendu compte..

J’ai 17 ans et cette musique déboule dans ma vie sous la forme d’une JOYEUSE révélation : il y a là-dedans tout ce que j’aime, y compris la « folie » magnifique d’un Hendrix, y compris un blues profond qui REFUSE pourtant dorénavant d’être triste et pesant. Je découvre la musique de Frank Zappa, comme d’autres découvrent qu’ils ont un nez au milieu de la figure, et la prends comme une patate en plein dans la poire, l’humour et la complexité de sa musique sonne le glas de toutes mes « croyances » établies, je me rends compte qu’on ne peut faire plus « puissant » que cet alliage!

J’ai 18 ans et ne jure que par Larry Graham, Jaco Pastorious, Marcus Miller ou/et Mark King, tous des super-héros de la basse, et je pars enfin chez les patrons de la musique que j’écoute et essaye de pratiquer depuis des années : à New York, chez les Américains !

Je reviens avec un multi-pistes (4 très exactement) à cassette dans ma valise, un Porta-Studio 05 de chez Tascam qui va tout changer, dans la mesure où cette machine va me faire découvrir les joies inépuisables du multi-recording, du vari-speed, et du coup m’obliger à travailler plusieurs instruments à la fois, ainsi que la programmation et le chant, puisse que je suis livré à moi-même. Un ami m’a prêté son Wurlitzer, une sorte de « Fender Rhodes du pauvre », au son et au toucher d’une douceur inouïe… Ce sont là mes premières « prods ».

Émerveillement à l’écoute des tambours Batas, approche des congas, mon pote François Colpin, m’apprend les rudiments du mambo et du guaguanco. Et que dire de la musique indienne, des tablas, des konakols ?  Merveilleux. Chez moi j’écoute Trilok Gurtu et ses Crazy Saints, Wheather report, Michel Camilo, Youssou N’Dour, et toujours Camaron de la Isla…

J’ai 22 ans et je suis apprenti-ébéniste, la radio est allumée en permanence dans l’atelier de mon patron.

Un jour, alors que je suis en train de raboter un morceau de bois, j’entends « When doves cry« , d’un certain Prince… Il y a un avant et un après.

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24 ans. Je signe avec Barclay/Universal, et sors mon premier album Jam Session, grâce à la rencontre avec Doc Matéo (Matthieu Laurent), guitariste et réalisateur qui croit en moi et en mes chansons, et avec qui j’ai travaillé pendant deux ans d’arrache-pied (je l’ai rencontré quand j’avais 22 ans). Nous réalisons et produisons Jam Session ensemble.

Je ne sais plus quel âge j’ai quand je me rends ENFIN compte que, comme le disait Duke Ellington, il n’y a que 2 types de musique sur terre : la bonne et la mauvaise. C’est toujours vrai aujourd’hui (et ça le sera encore demain).

« D’où provenaient ces petits champignons ? De Bretagne. »

J’ai 25 ans, le 15 janvier 1991, et la prise – au départ « bon enfant » et fortuite – lors d’une répétition, de champignons psilocybes change radicalement ma Vi-sion de la Vi-sion de la Vi-sion de la Vie, (et donc de la Musique).

D’où provenaient ces petits champignons? De Bretagne, de la très ancienne terre magique de Cornouailles très exactement. Je le dis non pas pour faire du prosélytisme ou promouvoir de manière maladroite votre sublime région, mais bien pour rétablir une forme de véracité quant à « l’accès à la conscience universelle »…  En ce qui me concerne, il s’agit juste d’un hommage, et de rendre à César ce qui appartient à César (l’artiste, pas le conquérant).

 

■ Tu n’as sorti aucun album depuis 2009… c’est pour privilégier le travail scénique, les collaborations ? Y-a-t-il un projet d’album sur les rails ?

Non, c’est juste que je suis un fainéant..

Oui, il y a un projet d’album, les chansons existent et sont composées depuis belle lurette, il me faut juste maintenant trouver un bon deal avec un studio digne de ce nom, afin d’obtenir une co-prod’, ce que je fais à chaque fois, parce que je n’ai malheureusement pas le choix financièrement… D’où le temps qui passe (sans oublier que je suis un fainéant !).

 

■ Il y a eu toute une époque dans les 90′s où le public a plongé vers le groove et le funk, toute une vague de groupes de « funk à la française »… c’est une époque dont tu es nostalgique ?

La nostalgie n’est plus ce qu’elle était ma bonne dame, surtout depuis la mort de Simone Signoret.

■ Tu joues début juin au 1988 Live Club de Rennes pour la 20e Funky fresh party; comment s’est faite la connexion ?

Eh bien par téléphone, et grâce à l’entremise de mon pote Thierry Lassemblée, qui, comme son nom l’indique, sait réunir les gens !

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■ Ta playlist idéale en 10 titres ?

« Dios te dara a ti la gloria« , de Camaron de la Isla et Paco de Lucia

« Sitting on the dock of the bay » d’Otis Redding ou « I’ve got the will » du même artiste…

« Joy in repetition » de Prince, ou presque TOUS les morceaux, du même IMMENSE artiste.

« Black President » de James Brown, ou » Get on the good foot« , du même artiste.

« Get on board » de Gap Band, avec le meilleur chanteur de l’univers, Charlie Wilson.

« Cono » de Salif Keita (et tout l’album éponyme), ainsi que sa merveilleuse chanson « La différence ».

« All in love is fair » de Stevie Wonder, ou presque TOUS les morceaux, du même IMMENSE artiste.

« Computer love » de Roger  » Zapp » Troutman.

Le Requiem de Verdi et La passion selon St-Matthieu de J.-S. Bach.

« You are what you is« , « One size fits all« , ou « Broadway the hardway » de Frank Zappa.

« MDM » (Monk, Trane and Mingus) de Thelonious Monk.

« Speed and Joy » de ma copine Himiko Paganotti et de son groupe Slug.

Chaque chanson de Magic Malik, surtout celles où il imite la voix d’un jeune enfant indien…

Ceci est une liste non exhausteevie Wonder, car bien évidemment, demander une playlist idéale de 10 titres à quelqu’un confine, soit au complètement absurde, soit au sadisme le plus effrayant (au choix). Vous remarquerez, cher lecteur, que je n’ai pas su résister à l’impérieuse tentation d’en mettre plus.

■ Ton dernier coup de cœur artistique ?

Hiatus Kaiyote, groupe de jeunes austr-Aliens (il me semble…). James Black, à la soul dark et futuro-apocalyptique à souhait. Buika, chanteuse atypique et profondément humaine de flamenco (même si ce « coup de cœur » remonte maintenant à pas mal d’années).

 

En fait, la vérité c’est que peut-être je suis plus nostalgique que je voudrais bien le dire, et que tous mes « coups de cœur » ressemblent à une boucle spatio-temporelle, où se mêlent toutes les musiques passées et à venir…

Le site de Juan Rozoff

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