La Supplication : une mise en garde supplémentaire contre les dégâts, largement irréparables, d’une politique sans éthique, d’une bureaucratie guindée sans transparence ni humanité, d’une industrialisation forcenée, d’une science sans conscience, d’une énergie sans poésie, d’une idéologie sans vergogne.
Vous l’ignoriez peut-être, mais l’énergie nucléaire (et les armes vaguement létales du même nom) n’ont guère les faveurs de votre dévoué serviteur. J’ai du coup toujours montré de l’intérêt pour les propositions alternatives à l’atome, soutenues par des réseaux militants comme Greenpeace ou l’association Sortir du nucléaire.
La Supplication s’emploie ainsi à mettre en image un texte de la journaliste biélorusse Svetlana Alexievitch (qui partage avec Bob Dylan et Patrick Modiano l’honneur d’être prix Nobel de littérature). On y voit des bâtiments abandonnés depuis ce printemps 1986, envahis par la végétation, délabrés. Les attractions des fêtes foraines rouillent sans le rire des marmailles. On entend des témoignages, mis en scène dans des décors étranges, oniriques, ouverts aux quatre vents, de victimes, d’enfants malades, de femmes endeuillées, de journaliste désolé ou de physicien déplorant la façon dont fut traité cet accident majeur de l’ère de l’uranium. Les résidus les plus actifs issus de la perte de contrôle du réacteur n°4 de la centrale vont mettre 14 milliards d’années avant d’être inoffensifs ! La bureaucratie et le pouvoir soviétique, « l’idéal » communiste consistant à se croire au-dessus de toute chose (y compris de la nature !), l’impuissance et le mutisme de la médecine face aux brûlures provoquées par les radiations (Tchernobyl équivaut à 350 fois Hiroshima) sont évoqués avec pudeur, poésie, avec amour presque, même si une infinie désolation et une colère sourdent tout au long de La Supplication.
Soumis à des expositions de 200 röntgens par heure (sachant que 400 röntgens/an constituent un seuil mortel), 400 mineurs furent envoyés en mission pour creuser un tunnel sous le réacteur en fusion, et installer un système de refroidissement…
Ce document austro-luxembourgeo-ukrainien pointe ainsi, d’une manière délicate et sensée, sans excessif pathos ni catastrophisme éhonté (puisque la catastrophe a déjà eu lieu) les vulnérabilités inouïes d’un système, basé sur l’énergie nucléaire, qui est tout, sauf rassurant, comme le montrent les centaines de milliers de « liquidateurs » (des pompiers de Prypiat, des militaires et des mineurs aussi vaillants que sous-informés des risques qu’ils encouraient et qui, pour beaucoup, moururent peu après ou tombèrent gravement malades) que l’URSS dut sacrifier, par vagues successives, pour « sécuriser » le site à jamais désormais pollué et les environs qu’il fallut évacuer et décontaminer (« liquidateurs » que l’URSS sut néanmoins généreusement récompenser – avec une glorieuse médaille, reconnaissant leur ultime abnégation).
Post-scriptum : La rédaction de l’Imprimerie Nocturne s’associe à la peine ressentie par les proches de Michel Chuan-Chen, subitement disparu, musicien, érudit, architecte, salarié infiniment regretté du cinéma d’art et d’essai L’Arvor, rue d’Antrain.
La Supplication – Tchernobyl, chronique du monde d’après l’apocalypse, de Pol Crutchen – Durée : 1h26 – Grand prix du documentaire au festival international du film de Saint-Paul, Minneapolis – Sortie le 21 septembre 2016.