Depuis le 8 septembre, la galerie-librairie l’Endroit Éditions se met au vert avec une installation-cheminement au plus près des prairies Saint-Martin, de ce qu’il en reste plutôt. Une occasion de découvrir Pierre-Yves Racine et Frédéric Dupont, deux artistes qui défragmentent la réalité pour mieux la restituer, depuis la naissance du projet jusqu’à ses développements récents.
Au fond de l’espace découverte de l’Endroit Éditions, une longue branche de noisetier allonge sa silhouette courbée du sol au plafond. Dans son giron : un poste de radio rouillé, un calendrier malmené par les intempéries, une photo argentique détériorée, un portrait d’un homme à la chemise de bucheron et au chapeau de cow-boy, un puzzle d’une maison cossue, un pot de peinture usité, un bocal de cailloux écrus. Inventaire des prés verts du canal Saint-Martin. Bienvenue dans la boutique de souvenirs de deux artistes-collectionneurs défricheurs du passé.
Depuis quatre ans, le photographe Pierre-Yves Racine et le musicien preneur de son Frédéric Dupont explorent les ruines des dernières cabanes des prairies Saint-Martin vouée à se transformer en parc naturel urbain, dans la cadre d’un projet de réhabilitation municipal. En 2012, un puzzle-photo encadré attire leur regard. Il représente un chien assoupi dans le jardin anglais d’une demeure normande. Les deux créateurs effectuent alors un parallèle entre les pièces fragmentées sous leurs yeux et le paysage alentour en phase de destruction. Symbole de l’instant perdu, la photographie, détournée en objet du quotidien, incite à une ré-union collective inédite autour de la notion de paysage, d’œuvre, de décoration ou encore de document.
« Le souvenir, qu’il soit un objet ou une survivance de la mémoire, c’est celui d’un lieu que l’on quitte et que l’on a aimé. »
Dès lors, Pierre-Yves Racine et Frédéric Dupont se promènent, rencontrent, récoltent, collectent ramassent et amassent des textes, des bibelots, des porte-clés, des paroles, des images etc. À l’écoute des habitants du quartier et de son évolution, progressivement, un fonds de matériaux sonores et vidéos se constitue. Qui appelle d’autres histoires conjuguées au présent. Tels des conteurs de vie ordinaire, les deux hommes donnent un sens contemporain à leur travail, trace un fil rouge entre un lieu en mouvement et un éveil artistique, détourne leurs trésors à des fins poétiques pour achalander leur boutique éphémère. Au centre de la galerie, un puzzle géant sonore attend d’être reconstitué. Une cabane se substitue peu à peu à un paysage de friche tandis que dans les casques à disposition gronde la destruction d’un lieu à travers des voix qui se répondent ou qui cherchent à sauver quelques objets avant l’abandon inéluctable.
Conserver la trace sonore, rassembler la mémoire, reconstituer la matière visible… ainsi va la boutique du souvenir à l’Endroit Éditions. Les visiteurs de l’exposition peuvent en prolonger l’expérience à travers l’achat de cartes postales d’objets trouvés, d’une série de CD créatifs ou d’une édition de quatre puzzles de mille pièces. Le puzzle, objet phare du projet, pour recréer un encadrement semblable à celui trouvé en 2012. Il permet également de jouer chez soi ou de le transporter aux prairies afin de le compléter in situ. Mise en abîme du passé dans le présent réel ou imaginaire. Pièce manquante d’une histoire reconstituée ou peut-être perdue à jamais…
Exposition visible jusqu’au 24 septembre
