Voir du pays : un film qui parle des petits travers et des grosses tares de la Grande Muette.
Entre les images d’Épinal que promeuvent les campagnes de publicité du ministère de la Défense et la réalité du terrain – miné –, il y a comme un hiatus, que les militaires (et les civils qui en subissent les « dommages collatéraux » et qui se font zigouiller pour parler sans euphémisme) expérimentent. Au péril de leur vie sacrifiée, dans le pire de cas. Au détriment de leur santé mentale de manière plus générale et, in fine, de l’état global de la paix internationale, elle aussi massacrée.
Aurore (Ariane Labed), Marine (Soko) et leurs petit·e·s camarades reviennent d’Afghanistan, après 6 mois de mission marqués par des embuscades, des accrochages, des pertes humaines. Avant d’atterrir en France – pour y reprendre des forces en famille avant d’être expédiées vers quelque autre point chaud du globe comme la promenade des Anglais à Nice, Libreville au Gabon ou Notre-Dame-des-Landes en Loire-Atlantique –, les troupes passent 3 jours à Chypre, du côté grec*, pour décompresser et profiter des charmes de cette région méditerranéenne réputée pour ses spots touristiques.
Tenues de camouflage loin de passer inaperçu pour le bataillon de jeunes combattant·e·s auquel appartiennent les Lorientaises Aurore (Ariane Labed) et Marine (Soko) qui ont été élevées dans des environnements militaires…
C’est l’occasion pour ces jeunes hommes et femmes de débriefer, de verbaliser leurs traumatismes, de « crever les abcès ». Surgissent, alors plus ou moins esquissés, l’absurdité de leur engagement (« Qu’est-ce que je suis venue faire en Afghanistan ? » s’interroge la candide Aurore qui y aura perdu quelques plumes, quelques camarades et quelques illusions), mais aussi les relents de patriotisme rance, les abominations commises au nom du drapeau tricolore, le machisme des plus épais et le virilisme ambiant encouragé, le racisme primaire et le triomphalisme risible des gradés qui se gargarisent de chiffres (16 morts du côté des « insurgés », contre 3 du côté des amis de la démocratie lors d’une sortie en montagne à bord de VAB**, constitue une victoire) comme s’il s’agissait de scores sportifs.
Voir du pays brasse ainsi les pires remugles du militarisme dans le décor de paradis – artificiel – d’un hôtel-club 5 étoiles bordé par la mer, où sont aussi descendus des touristes anglais ou russes lambdas, ce qui accroît l’impression de décalage entre ces militaires hyper-tendus et une population civile qui aspire à profiter de vacances et d’insouciance. Avec une vraie économie de moyens (un globe suffit, avec le trajet des avions), ce film-document montre aussi de manière implacable l’incompréhensible politique étrangère d’un pays qui envoie à cinq mille kilomètres de ses propres frontières des soldats, soi-disant pour étendre la sphère démocratique. « Fire with fire » de Gossip au générique de fin montrera aux indécis, en quelques notes, la supériorité absolue, en matière de pacification des esprits, du rock de l’Arkansas.
* L’île est scindée en 2, au Nord la partie turque, au Sud les Grecs, c’est-à-dire des Européens connus pour avoir été les initiateurs de la démocratie que, justement, ces bataillons de soldats sont censés protéger en se rendant en Afghanistan. En tout 70 000 hommes du côté français auront été engagés dans cette guerre lors de laquelle 23 000 obus « démocratiques et made in France » auront été balancés sur le pays des ennemis désignés.
** Véhicule de l’Avant Blindé.