Après les attentas du 7 janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo auxquels elle a échappé de justesse, la dessinatrice Catherine Meurisse retrace dans cet album son long parcours vers la joie de vivre et la création retrouvée.
On connaissait Catherine Meurisse pour son amour de l’art et de la littérature illustré avec drôlerie et à propos dans des albums comme Mes hommes de lettres et Le pont des arts, sa vision originale soutenue par un dynamisme et un humour décapant incarnés par les personnages toujours échevelés et bondissants qui parcourent ses planches.
Ce matin de janvier, Catherine Meurisse, dessinatrice de presse à Charlie Hebdo est clouée au lit par un chagrin d’amour. C’est ce hasard qui la fera arriver en retard à la conférence de presse et échapper au massacre. Elle retrace les états de sidération et de souffrance psychique qui suivront les attentats, le psy lui expliquant le mécanisme de survie du cerveau face au choc traumatique : « Vous êtes dissociée. Votre cerveau a disjoncté et provoqué une anesthésie émotionnelle, sensorielle et mémorielle »
Au fil des pages, la couleur se fait de plus en plus présente, notamment lorsqu’elle retrace son voyage à la Villa Médicis à Rome, berceau de la création. Rome, ville du fantasme artistique par excellence servira d’écrin à son renouveau intellectuel et émotionnel. On retrouve les peintres italiens tel Le Caravage qui ont si bien su exprimer la fusion de la beauté pure et de la sauvagerie, transcendant le caractère tragique de l’existence. Cherchant le ‘syndrome de Stendhal’, sorte d’anéantissement esthétique qui la sortirait d’elle-même, l’auteur réinvestit la pulsion de création et l’amour du beau, ce qui nous vaut ce très bel album où l’art retrouve sa fonction cathartique.
Ses dessins intègrent de nombreuses références de la peinture moderne et ancienne : Rothko, Munch, Turner, Millais… Les outils graphiques sont variés, feutre, aquarelle ou encore mine de plomb, ce qui permet de jouer avec un vaste répertoire sensible, reflétant d’infinies nuances émotionnelles. L’usage de l’aquarelle permet de dessiner des espaces où la figure semble perdue, illustrant des épisodes de submersion psychique mais aussi de méditation face aux éléments. Le paysage, maritime notamment, est beaucoup représenté, comme un écho du territoire mental, évoquant tour à tour l’envahissement, la tempête et l’absorption pour évoluer vers la contemplation.
L’auteur parle avec beaucoup de talent des artistes et écrivains qu’elle aime et qu’elle utilisera pendant son deuil comme compagnons et exutoires à sa douleur. Ils accompagnent ses questionnements artistiques et existentiels. On est touché par la communion de l’auteur avec les œuvres qu’elle évoque et par sa capacité à se les réapproprier au travers de son expérience esthétique et plastique. C’est une des beautés de l’album de pouvoir s’élever depuis la douleur individuelle jusqu’à un patrimoine artistique commun, intégrant à sa propre histoire les artistes qu’elle aime. La légèreté, c’est retrouver la capacité psychique à éprouver la beauté et à donner du sens. Face à la barbarie, c’est l’imaginaire qui gagne.
La légèreté de Catherine Meurisse, Hors Collection Dargaud, paru le 24/04/2016, 20 euros