La Caïda et Coyota, féminisme fantastique

Avec ce livre noir, violent et onirique, La Caïda et Coyota, Juliette Bensimon Marchina s’inspire de la tragédie des disparues de Ciudad Juarez au Mexique où des milliers de jeunes filles ont été enlevées dans l’indifférence des pouvoirs publics depuis 1993.

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La Caïda (chute en espagnol, mais aussi Caïd au féminin) est une adolescente de Los Angeles qui habite dans le quartier latino de Boyle Heights avec sa mère alcoolique mais aimante. Elle mène une vie banale avec acné, surpoids et appareil dentaire. Au lycée, les filles se moquent de son physique latino « voilà le burritos » et un mystérieux Diego au visage masqué vole régulièrement à son secours…

En parallèle, au Mexique, une intrépide justicière à tête de chien, la Coyota affronte les cartels et prend la défense des filles enlevées et torturées pour être achevées dans des snuff-movies atroces… Comme la Caïda, elle s’écroule en s’endormant régulièrement. Quel lien mystérieux les unit ?

En noir et blanc, le style sobre et brutal rappelle Charles Burns et sa série Black Hole pour le malaise adolescent, l’indifférence et l’incompréhension des adultes, la violence physique et les mutations… Tout comme un certain érotisme malsain qui imprègne tout l’ouvrage, la Coyota dégageant un trouble animal. Il y a aussi un peu de Blanquet pour le fantastique noir et malsain, l’aspect parfois cauchemardesque.

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Au Mexique dans la ville frontalière de Ciudad Juarez, qualifiée de ville la plus dangereuse au monde, des jeunes femmes sont enlevées depuis 1993 dans l’indifférence des pouvoirs publics, plus attentif au trafic de drogue en provenance d’Amérique du Sud qu’à la mort de femmes pauvres. On dénombre plus de 2000 disparues, la plupart jeunes et travaillant dans les maquiladoras, usines d’assemblage pullulant à la frontière des États-Unis, employant des milliers de jeunes femmes. Face au silence et à la corruption, certaines femmes ont décidé de faire justice elles-mêmes, telle Diana, la « tueuse de chauffeurs » qui se présente comme une victime de violences subies pendant le retour de l’usine. La Coyota est leur sœur de papier. Elle est la représentation symbolique des viols et des tortures faites aux femmes mexicaines qui sont ignorées par l’Amérique. La narcolepsie de la Caïda, c’est le sommeil de l’indifférence mais aussi le retour du refoulé, d’un inconscient réprimé, d’où sans doute le fait que la Coyota agisse pendant le sommeil de la Caïda. On pense aussi à Fight Club pour le héros ‘normé’ aux prises avec un double audacieux et vindicatif qui réalise ses fantasmes en dynamitant les carcans de son existence étriquée.

 

 

La Caïda et Coyota, de Juliette Bensimon Marchina, parue le 24 novembre 2015, éditions Les Requins marteaux, 212 pages, 15 euros

 

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