Éditions Lunatique : interview-livres avec une éditrice libre et indépendante

Sous le chapeau, des yeux attentifs, des traits fins, une voix douce, en réserve. Dans la tête, une pugnacité et une énergie tsunami. De la sélection des auteurs à la mise en page des ouvrages, de la correction des manuscrits  à la communication intensive, Pascale Goze responsable des éditions Lunatique porte  son bébé-trublion à bout de bras. Passion de la littérature qui accroche, attachement à l’art transgressif, volonté farouche de défricher en terrain miné, de bousculer la morale, d’appeler à la réflexion et de réveiller les consciences. Pour clore notre série d’articles consacrés au festival Rue des livres, interview-livres avec une éditrice libre et indépendante sans tabous, ni barrières que vous pourrez retrouver sur le salon samedi et dimanche. Editions Lunatique

­■ Un livre lunatique pour résumer la naissance de votre maison d’édition ?

Mailles à l’envers de Marlène Tissot. C’est le tout premier manuscrit reçu en 2011, alors que la maison ressemblait plus à une caravane sur un terrain vague. Je m’étais dit alors : « Ouah ! Si tous les livres pouvaient être comme celui-là ! » Ce n’est pas le cas. Tant mieux, j’attends d’être surprise. Mailles à l’envers, c’est aussi la première reconnaissance de la maison, avec le Festival du Premier Roman de Laval (2013) et le Festival européen du Premier Roman (Kiel, la même année), où le roman avait été sélectionné pour représenter la France. Depuis, Marlene Tissot a déployé son talent (prix COPO 2015) dans bon nombre de petites maisons d’édition indépendantes (La Boucherie littéraire, Pédalo Ivre, Gros Textes, Le Citron Gare, KissMyAss ou La Vachette alternative, de mémoire), il n’y a donc pas que pour moi que ce fut le lancement de l’aventure. Il est bon aussi de rappeler que ses tout premiers livres (de poésie) sont parus chez Asphodèle. Quant à la mise en place du projet Lunatique, elle se résume à un chaos innommable : je fais les choses comme il me semble, sans me préoccuper de ce qu’un éditeur, ayant la vocation ou suivi une formation, ferait à ma place.

Un livre lunatique pour illustrer le travail quotidien d’un éditeur ?

Violences brèves. Parce que Gilles Ascaso raconte l’implacable immuabilité des jours avec une finesse, une sensibilité, une intelligence, une acuité qui décèlent l’imperceptible soubresaut de vie qui révolutionne le monde. La comparaison peut sembler prétentieuse, il n’en faut retenir que « l’implacable immuabilité » du quotidien : je ne peux me défaire du sentiment de piétiner. Et je trépigne seize à dix-huit heures par jour, quand même. Toute cette agitation nerveuse que je déploie ne remue que la poussière de ma vieille demeure, Lunatique est une toute petite petite petite maison d’édition. Pas de fausse modestie, mais une juste réévaluation, quand l’on me voit plus grosse, plus importante, plus performante que je ne suis. Je n’ai pas l’impression d’être très efficace non plus au vu du nombre d’heures passées à faire en sorte de travailler. Je suis têtue et n’ai rien d’autre à faire de mes journées que travailler. C’est la seule explication que je vois au fait que les choses bougent un petit peu, et que je me retrouve, par exemple, éditeur à l’honneur aux Beaux Jours de la petite édition, ou invitée à évoquer mon travail à Nau Belles Rencontres.

« Parce que c’est ce que j’aime : secouer les consciences(…) »


Un livre lunatique pour éclairer votre ligne éditoriale ?

Un seul titre ? Mais, c’est une question piège ! Ce serait comme de me demander si j’en ai un que je préfère aux autres. Misère… Je dirais Tout pour Titou, de Violaine Bérot. Ce texte est d’une violence inouïe. Il prend le lecteur à témoin d’une histoire dont il ne pourra pas changer une virgule. On sort de cette lecture complètement K.-O. Avec l’envie de replonger fissa. Ils sont nombreux, les livres du catalogue qui malmènent le lecteur. Parce que c’est ce que j’aime : secouer les consciences, déranger, perturber, obliger à une remise en question des valeurs morales que, par confort ou paresse, l’on prend pour infrangibles et indéfectibles.



Un livre lunatique pour évoquer la revue d’expression littéraire Le Cafard Hérétique (reprise par les Éditions Lunatique en 2015. NDLR)


La cafard hérétiqueEsthétique du viol
, de Clinquart. Flamboyant, irrévérencieux, protéiforme, élégant, novateur, édifiant, drôle, intelligent, hargneux, etc. On trouve de tout, et surtout du beau et du bon. La revue n’a été adoptée que l’an dernier. Elle était alors une sorte de fanzine entre potes, tour à tour incisive ou poétique. Lunatique lui a insufflé des couleurs et une direction éditoriale plus réfléchie, avec des rubriques récurrentes (notamment la présentation, dans chaque numéro, de deux maisons d’édition peu médiatisées ; un gueuloir bientôt tenu par Pascal Pratz ; des textes étrangers en langue originale en plus de leur version traduite ; et… je n’en dis pas plus). Des hors-séries expérimentaux ou consacrés à des artistes graphiques sont en cours d’élaboration. La sélection du contenu aussi est plus drastique qu’avant, pour plus de variété, de noms nouveaux et permettre à de jeunes talents d’émerger. Je conçois Le Cafard hérétique comme un terrain de jeux, quand le format Lunatique se trouve contraint par une charte graphique et une ligne éditoriale.

Un ou plusieurs livres lunatique pour dessiner l’avenir de votre maison d’édition ?

Journal d’un fœtus de Benjamin Taïeb. Autrement dit, il va y avoir du changement. En découlera la nécessité de s’adapter à une nouvelle vie… à plusieurs. Cette année verra poindre les premières pages de 2 collections en gestation depuis des mois : « Parler debout » (essais philosophiques) et « Dos au mur » (jeunesse). D’ailleurs, je tiens à remercier Thierry Moral à qui cette dernière collection doit son nom. Depuis 2012, Thierry sème des pépites sur la route de Lunatique : l’anarchiste Fred Loram, et l’inquiétant Phare intérieur. Une nouvelle collaboration se profile, cette fois sous une forme illustrée, grâce à Thierry Toth. L’avenir de Lunatique se construit également sur de nouvelles acquisitions (Esthétique du viol, de Clinquart ; L’Embarquée, d’Angélique Condominas ; De l’encre dans les veines, de Stéphane Beauvais ; La Mort embrasse mal, de Philippe Vourch ; Porcherie, de Christophe Siébert) et de nouvelles propositions d’auteurs fidèles à la maison (L’Apparition de Perrine Le Querrec ; deux textes courts, L’Égyptienne et Les Noces d’or, plus un roman, L’Ange gardien, de Raymond Penblanc ; la suite très attendue de Funambules, signée Julia Germillon ; La Compassion d’A. Nebojša et deux nouvelles, Yolanda et Le Strudel aux pommes qui vient d’obtenir le prix Grain de Sel ; et, enfin, un recueil en attente de titre de Sarah Taupin). Rien n’est jamais acquis, et travailler avec les mêmes auteurs est un vrai plaisir. Cela veut dire aussi qu’ils ont réussi à me surprendre. En un mot, l’avenir de Lunatique sera… zélé.

Pascale Goze Editions Lunatique

Le site des éditions Lunatique

 

L’info en plus. L’image des éditions Lunatique représente un masque Pendé. Déformés par une paralysie faciale, ces masques rituels évoquent des personnes ensorcelées, atteintes de déséquilibre mental. Ils sont utilisés lors de cérémonies curatives afin d’exorciser toutes les peurs face aux fléaux.

2 comments

  1. Huguette Hérin /

    je viens de lire votre page Pascale, je crois que nous nous sommes rencontrées dans un salon du livre près d’Angers
    et puis, j’ai écrit la chronique d’un livre Lunatique – d’une terrible petite fille …
    et puis je continue à écrire… pour la ferveur, les chutes, les reprises
    et retour à la ligne … et la vie n’est pas pareille !
    je reviendrai lire vos pages ! Amitié
    Bon soir !
    Huguette Hérin-Travers

    • Karine Baudot /

      Merci pour votre commentaire. Nous le transmettons à Pascale Goze, mais n’hésitez pas à la contacter via le site des éditions Lunatiques :

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