Psychiatre et psychanalyste, Elsa Cayat a été tuée dans les attentats du 7 janvier 2015. Pendant plus d’un an, elle avait tenu deux fois par mois une chronique dans Charlie Heddo, abordant des questions de société au travers de sa pratique clinique. Titre du dernier billet d’Elsa Cayat dans Charlie Hebdo, Noël, ça fait vraiment chier est un recueil de ses chroniques illustrées par la dessinatrice Catherine Meurisse.

Se positionnant à l’encontre d’une certaine psychanalyse qui s’est parfois faite agent de l’ordre moral au nom d’arguments douteux (durant les débats autour du Pacs notamment), Elsa Cayat nous livre sa vision libertaire et idéaliste de l’homme comme capable de s’extraire de ses conditionnements pour accéder à la liberté et au plaisir. Partant de ses relations avec ses patients et élargissant à des questions de société, elle nous explique comment les questionnements et souffrances individuelles trouvent un écho dans le politique et l’actualité. Euthanasie, GPA, Mariage homosexuel, addictions et économie nourrissent le terreau de sa pensée. Les débats sociétaux de l’actualité sont le miroir des trajectoires et désarrois personnels de ses patients, l’intime éclairant le collectif.

Elle exprime sa réflexion militante sur la psychiatrie contemporaine et la classification des maladies. Aujourd’hui le psychiatre doit mettre son diagnostic en accord avec le DSM (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), servant les industries pharmaceutiques car à chaque trouble correspond un médicament. C’est, selon l’auteur, une vision de l’humain qui le réduit à ses symptômes en niant sa spécificité.

« Si le capitalisme est la ruine de l’homme, ce n’est pas tant par les ruines économiques que ce système ne peut qu’engendrer, c’est, comme le disait génialement Rabelais que science sans conscience n’est que ruine de l’âme »

Elsa Cayat accorde donc une place prépondérante à la parole qui tue mais aussi qui libère. Digne héritière de Lacan, elle n’hésite pas à recourir aux jeux de mots qui font surgir une vérité autre. Néanmoins, contrairement à lui elle place la question du bonheur au centre de sa recherche comme un objectif réaliste. Posant la question de la souffrance et des abus, elle fait la part de toute l’ambivalence des sentiments filiaux, parentaux, amoureux… qui sont porteurs d’une haine refoulée, à la genèse des pires aliénations et incompréhensions, entretenant la confusion entre amour et emprise. Elle questionne la fascination humaine à l’égard de la violence et du pouvoir, démontant les mécanismes à l’œuvre dans le racisme par exemple « la haine de l’étranger que l’on est pour soi, projetée sur l’autre. La singularité est rarement assumée puisqu’elle est vue habituellement comme négative ».

L’ouvrage nous apporte une vision originale et pertinente des thèmes chers à Charlie Hebdo, une voix déterminée, réaliste mais optimiste sur le genre humain, toujours en décalage du conformisme. Elle interroge les croyances, les idéologies en remontant à la source, sous la surface des préjugés et des vérités simplistes.

Illustratrice de presse et dessinatrice de BD, Catherine Meurisse est l’auteur (entre autres) du Pont des Arts et de Mes Hommes de lettres, où elle explore les liens entre art et littérature en BD. L’univers de Catherine Meurisse fait la part belle à la culture ‘classique’ qu’elle soit littéraire ou artistique en nous parlant de Diderot, Balzac, Delacroix ou George Sand… Mais aussi Gustave Moreau, Picasso ou encore Manet, le tout mis en image avec un trait dansant et des personnages toujours en action. Érudite, elle manie l’ironie et le sarcasme avec bonheur tout en rendant profondément actuels les questionnements esthétiques qui ont fait l’histoire de l’art.

Noël, ça fait vraiment chier ! de Elsa Cayat avec les illustrations de Catherine Meurisse, éditions Les Echappés, 13,90 euros.