Un cinéma estival sous le signe du deuil, des héritages et des Apaches de Belleville.
J’aurais pu vous parler de While we’re young, comédie dramatique américaine de Noah Baumbach qui aborde les façons de faire rajeunir son couple (parmi lesquelles on retiendra l’importance de bien choisir ses « miroirs »), ou celles de transmettre savoirs, valeurs et éthique (gros dossier qui ne pourra faire l’économie d’une interrogation sur ce qu’est la vérité). En l’occurrence il s’agit du couple de Josh (Ben Stiller), réalisateur velléitaire d’un documentaire sur l’Amérique (vaste sujet), et de Cornelia (Naomi Watts), productrice de documentaires qui marche sur les traces de son propre père, qui va faire la rencontre d’un autre couple, plus jeune, constitué du grand et dégourdi Jamie (Adam Driver) et de Darby (Amanda Seyfried), réalisateurs ambitieux de documentaires.
J’aurais pu vous parler de Les Bêtises (avec Sara Giraudeau, Jérémie Elkaïm, Jonathan Lambert), charmante comédie française d’Alice et Rose Philippon qui ressemblerait sur le fond à du théâtre de boulevard filmé. C’est vous dire si c’est sans prétention. Où il est question d’un trentenaire lunaire abandonné à sa naissance. Il veut retrouver sa mère biologique. Il possède la particularité, du fait qu’elle lui manque, de ne faire rien que des bêtises puisqu’elle n’est pas là (on notera non sans étonnement que cet hommage incongru à Sabine Paturel est l’occasion d’un réel moment de grâce dans ce film – plutôt léger – sur les lourdeurs – sentimentales ou administratives – des filiations compliquées).
J’aurais pu vous parler d’Amy, un documentaire d’Asif Kapadia. Doit-on rappeler ce dont il s’agit ? Les titres interplanétaires d’Amy Winehouse, entêtants comme des rhums arrangés, ne sont pas parvenus jusqu’à vos oreilles ? Les unes des tabloïds sur les frasques (drogues, alcool, cures, violences conjugales, traques orchestrées par des paparazzi sans vergogne, overdoses et autres décadences…) de cette gouailleuse juive londonienne tatouée aussi fragile que douée ne vous ont jamais interpellé ? Sa précoce disparition, en pleine gloire, à l’âge de 27 ans, à Londres, dans sa maison de Camdem, ne fut pas la meilleure nouvelle de ce funeste 23 juillet 2011. Pour rappel alors, un moment de gloire :
J’aurais pu vous parler de Nos futurs de Rémi Bezançon avec Pio Marmaï, Pierre Rochefort, sorte d’Easy rider à la française (deux amis se retrouvant après s’être perdus de vue, traversent la France pour reconstituer une dream-team comparable à la tribu qui enflamma les fêtes de leur adolescence), qui, avec pudeur, aborde la délicate thématique des deuils à orchestrer correctement si on veut continuer à vivre mélodieusement.
J’aurais pu vous parler de Comme un avion de Bruno Podalydès, qui est une vraie invitation pour l’aventure, qui nous attend au coin de la rue, lors d’un surf sur Internet ou au détour d’un méandre sur l’Ouanne. En d’autres termes : un cri pour nous prévenir contre la tentation d’enterrer trop vite nos rêves d’enfant.
J’aurais pu vous parler de Les Profs 2* de Pierre-François Martin-Laval (avec Kev Adams, Didier Bourdon, Isabelle Nanty…)… au risque de perdre tout crédit auprès de la gent cinéphile internationale**.
J’aurais pu vous parler de Loin de la foule déchaînée de Thomas Vinterberg avec le beau Matthias Schoenaerts dans le rôle principal : film en costumes, avec des moutons, un bon berger, un soldat moustachu, des granges en feu, une jolie fermière, un riche voisin, un héritage inattendu, des coups du sort… bref, largement de quoi sustenter les cœurs tendres qui palpitent sous vos chemisiers et marcels ajustés.
Mais non. Je ne vous parlerai pas de tout ceci. Non. Je vous parlerai de Des apaches de (et avec) Nassim Amaouche. Petite leçon de démocratie berbère, Des apaches sans y toucher, sans polémiquer, sans effets appuyés ni modestie déplacée, distille une sagesse kabyle bienvenue. Avec ses faux-airs à la Richard Anconina, Samir (Nassim Amaouche) irradie ce film générationnel de sa nonchalance. Là encore, il s’agit de filiation compliquée, de familles monoparentales et d’héritages (aussi bien culturels que matériels) : Samir enterre sa mère et retrouve son père par la même occasion, qui tient un bar-hôtel du côté de Belleville dont il souhaite se défaire. Ce cinéma-là a ce mérite d’aborder ces questions fondamentales que sont la mort, la construction de soi, la passation des pouvoirs d’une génération (vieillissante et expérimentée) à la suivante (pleine de sève et d’incertitudes). De quoi avons-nous hérité ? Et qu’allons-nous transmettre ? Ces questions fondamentales qui sous-tendent tacitement toute vie irriguent également toutes les œuvres cinématographiques. Le cinéma est-il autre chose que la transmission d’un savoir sublimé ? Qui plus est qu’un Parisien d’origine franco-algérienne soit le héros de ce long-métrage qui propose un regard intelligent sur l’Hexagone d’aujourd’hui est tout sauf anodin, et justifie amplement notre coup de cœur de l’été.
Sur ce, bonnes vacances et n’oubliez pas que vous êtes les co-scénaristes, acteurs, silhouettes, co-producteurs, bruiteurs, accessoiristes, éclairagistes, monteurs et décorateurs du film de votre propre existence.
* Qui a néanmoins le mérite d’avoir un titre de The Dø sur sa B.O.
** Je vous donne quand même le pitch : la Reine d’Angleterre veut garantir une bonne éducation à sa petite-fille, ado rebelle fan d’opéra-rock. Pour ce faire, les services spéciaux de Sa Majesté couronnée convoquent les pires prof de ce côté-ci de la Manche, dont les méthodes si peu orthodoxes ont fait leurs preuves dans Les Profs 1 du même Pierre-François Martin-Laval.