C’est à la sortie d’une tournée en Roumanie, il y a deux ans, que naît ce récit. De la découverte de ce pays, le conteur Sergio Grondin retient cette image obsédante : celle des meutes de chiens arpentant les rues de Bucarest. Ils seraient des dizaines de milliers (les chiffres oscillent entre 40 000 et 100 000) et l’on ne compte plus le nombre d’accidents liés à leurs morsures. Une année s’écoule lorsqu’il décide d’y retourner. L’ambiance est toute autre. Plus un seul chien en vue si ce n’est celui qui traîne sous la fenêtre de sa chambre d’hôtel. Le seul qu’il croisera de tout son séjour dans la capitale roumaine. Qui est-il ? Qu’a-t-il vécu ? Que fait-il là ? Qu’aurait-il à nous raconter ? Que pourrait avoir Sergio Grondin à lui raconter ?
« Mon visage, sa gueule, ma gueule, son visage »
Il est seul dans ce que l’on imagine être sa chambre d’hôtel. La scénographie épurée de la scène nous laisse voir un cube, un mur constitué d’une douzaine de panneaux et quelques objets : un téléphone portable, une lampe de poche, une bouteille d’alcool local. Rien de plus. Cela sera pourtant suffisant pour faire naître de l’image tant le jeu de Sergio Grondin est fort et incarné. Campé sur ses deux jambes, prenant tour à tour la voix de l’homme et la parole du chien, il déploie une énergie qui vous happe et vous enferme avec lui dans ce lieu où la solitude, l’ennui, l’attente et la rage se mêlent. À mesure que le double récit (celui du chien et celui de l’homme donc) se déroule sous nos yeux, l’ambiance devient de plus en plus lourde et menaçante. Soutenue par un très habile et inventif jeu de lumières (que l’on doit à Benoît Brochard et Alice Gill-Khan) ainsi qu’une composition musicale tendue et battante (signé d’une main de maître par Kwalud), l’histoire personnelle de ces deux êtres rejoint la grande histoire. Celle de cette ville où, par l’entremise du dogme communiste, on exproprie des familles de leurs maisons pour les reloger par centaines dans des tours de béton. Des logements gris béton où les chiens ne sauraient être admis. Alors se forment les meutes, alors interviennent les milices. La famine ronge les ventres de ses habitants et les crocs de ses chiens errants. Éradication. Massacre. Le récit de ce Chien se fait épique, monstrueux, rageur. C’est le temps du soulèvement et ça vous prend, là dans la chair, là dans le cœur qui se précipite. Un grondement sauvage que cet homme, seul dans sa chambre d’hôtel, laissera exploser à son tour.
« J’ai toujours eu un rapport étroit avec les chiens, les molosses, les gueules cassées. J’ai longtemps fait de l’élevage canin et puis un jour j’ai divorcé, j’ai dû me séparer de mes chiens.
Blessure vive, histoire banale. Le chien, pour moi, c’est un peu ma projection animale, mon rapport à la sauvagerie, une histoire d’instinct. Chez les chiens de Bucarest ce qui me fait fantasmer, parce que c’est un fantasme, c’est le retour total à l’état primaire, comme une absolue nécessité face à l’agressivité et à l’oppression de la ville.
Très vite ces chiens me sont apparus comme l’image de l’inconscient de la ville, de sa folie, de sa fureur, mais aussi de sa beauté, totale et sauvage. »
Deux représentations sont prévues vendredi 10 à 21h et samedi 11 avril à 16h, au Théâtre de la Parcheminerie.
Informations pratiques
Production déléguée : Centre de production des paroles contemporaines – CPPC, Rennes
Coproduction : Théâtre du Grand Marché, Centre dramatique de l’Océan Indien, La Réunion CPPC / Théâtre L’Aire Libre, Saint-Jacques-de-la-Lande
Auteur : Sergio Grondin – Mise en scène : David gauchard – Musique : Kwalud – Collaboration artistique : Mael Le Goff
Pour aller plus loin : Page Facebook de la Compagnie Karanbolaz