L’ennemi de la classe de Rok Biček

L’ennemi de la classe, drame slovène de Rok Biček : choisir ses ennemis est un art raffiné… au moins aussi complexe que l’art de choisir ses alliés.

 

La Slovénie, franchement, vous savez où c’est ? Après avoir vu ce film, vous aurez peut-être envie d’en savoir plus. Vous aurez peut-être aussi l’impression que les élèves slovènes ne sont pas loin de ressembler aux élèves qui fréquentent les établissements français. Et cette nouvelle serait plutôt du genre à réveiller l’esprit européen qui sommeille en chacun et auquel on ne prêtait guère attention, focalisés que nous étions sur nos soucis franco-français, d’ordres professionnels, confessionnels ou familiaux.

L’ennemi de la classe, ça parle du suicide inexpliqué d’une élève lambda que rien ne semblait prédestiner à une fin aussi tragique que brutale. Ça rappellera bien sûr à certains ce fascinant film australien de Murali K. Thalluri, 2h37, qui aborde la même problématique. Mais là où l’intrigue australienne était bâtie sur d’habiles flashbacks pour découvrir qui, parmi les élèves – et pour quelles raisons – avait bien pu s’ouvrir les veines dans les toilettes du lycée, le ressort de L’ennemi… se focalise sur ce qui se passe après l’irréparable.

samobor

Le nouveau (et ténébreux) professeur d’allemand (Igor Samobor) va se heurter à une fronde d’élèves. Mais ce n’est pas ce qui l’empêchera de mener à bien sa mission pédagogique, axée sur une sévère discipline et la connaissance des classiques.

Comment procéder à un deuil au sein d’un établissement scolaire ? Quelles peuvent être les bonnes (et les moins bonnes) réactions du corps enseignant et autres parents d’élèves englués dans leurs a priori ? Face à une mort aussi irrationnelle, tristement imprévisible, impensable en quelque sorte et en tous les cas pour ceux qui restent traumatisante au plus haut point, le réflexe peut être de chercher un coupable, un responsable, un bouc-émissaire, une cause, une raison, de sorte qu’on puisse échapper à une éventuelle culpabilité individuelle écrasante. En l’occurrence, les amis de la jeune suicidée vont se liguer contre leur professeur d’allemand, Robert Zupan (Igor Samobor). Tout juste débarqué, ses méthodes sont un peu strictes, voire austères, à l’ancienne. Pour lui, les rituels (comme se lever à l’entrée du professeur ou lever le doigt avant de prendre la parole) ont un sens précis (différencier les hommes civilisés des animaux sauvages). Imperturbable, sec et autoritaire, il remplace doctement leur habituelle prof enceinte jusqu’aux oreilles, radieuse et ultra compréhensive – ce qui provoque un réel changement d’ambiance. S’il a donc pour mission de finir un programme centré sur l’étude de Tonio Krüger de Thomas Mann, ses élèves auront cependant tôt fait de le cataloguer à l’emporte-pièce, comme nazi.

L’ennemi… décortique ainsi brillamment, en finesse, tout ce processus collectif (colère, rébellion, déni, quiproquos, et finalement acceptation et réconciliation pro-active – parce que la jeunesse et l’enseignement sont à coup sûr les deux mamelles du renouveau et de la gaieté) qui bouleverse cette institution scolaire soucieuse du bien-être de son staff et de celui des élèves. Une réussite.

PS : La Slovénie, au sud de l’Autriche, qui faisait partie de l’ex-Yougoslavie, a rejoint l’Union européenne en 2004.

L’ennemi de la classe, drame slovène de Rok Biček – Avec Igor Samobor – Durée : 1h52 – Sortie le 4 mars 2015

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