Foxcatcher de Bennett Miller

Foxcatcher de Bennett Miller : un film sur la lutte et les héritages compliqués.

 

J’aime bien spoiler à mort (de toute façon, me rassurais-je (car à l’Imprimerie, on a une éthique déontologique qui nous incite au respect du lecteur et de ses animaux de compagnie), le format d’une chronique est toujours trop court pour TOUT dévoiler d’un long-métrage aussi téléphoné soit-il et qui plus est, la promo autour des films et le battage médiatique font qu’on peut en apprendre beaucoup sur un film avant même d’aller le voir en salle). Mais avec Foxcatcher, je ne jouerai pas à ce jeu-là. C’est en effet ma première (très) bonne surprise de l’année. J’ai été le voir, sans avoir rien lu de particulier à son sujet, un peu par hasard donc (peut-être aussi parce que je ne me voyais pas aller voir Une heure de tranquillité ou Un village presque parfait… et puis, argument de poids, Foxcatcher était en VO… enfin, il me semblait que je n’avais rien de mieux à faire que passer 2h14 plongé dans le noir, assis dans un fauteuil rouge).

… on assiste, groggy, à un défilé de survêtements des années 80…

Or rien n’est moins glamour a priori qu’un film sur deux frères un peu fauchés, lutteurs de profession, qui veulent ramener des médailles d’or à leur pays, en l’occurrence les USA. Et en effet, si Foxcatcher mérite une première palme, c’est bien celle des costumes : on assiste, groggy, scotché, à un défilé de survêtements des années 80 (bleu blanc rouge, aux couleurs du drapeau américain ou bleu et or, aux couleurs de l’équipe Foxcatcher) et là réside la première réjouissance. Il ne manque plus que la voix de Pierre Salviac pour qu’illico on replonge dans l’ambiance des grands championnats mondiaux en salle. Ensuite, les démarches et les physionomies des acteurs sont absolument justes et parfaites. D’un côté Mark et Davis Schultz, les deux frères lutteurs (Channing Tatum et Mark Ruffalo) aux deltoïdes marqués, taillés en V, qui marchent comme des primates lestes, jambes arquées, épaules en avant et bras souples et ballants prêts à saisir l’adversaire. De l’autre côté, John E. du Pont (épatant Steve Carell qui s’est transfiguré pour ce rôle), coach malhabile au long nez, à la dégaine d’oiseau malingre tombé du nid, mais au regard acéré comme celui d’un rapace. D’ailleurs, le petit John aime à ce que ses amis l’appellent Eagle, voire Golden Eagle (soit Aigle ou Aigle d’or, pour ceux qui ne maîtriseraient pas la langue de Lionel Ritchie). Ça en dit long sur le personnage. Par ailleurs, pour compléter le portrait, John « Eagle » est milliardaire. Il est le rejeton d’une famille qui a prospéré avec le commerce des armes et des produits chimiques.

Une splendide confrontation entre deux mondes…

Il s’est mis en tête de devenir un grand coach sportif et s’est entiché des frères Schultz, avec l’impérative lubie de ramener l’or des JO de Séoul. Passionnée d’étalons d’élevage et de courses hippiques, sa mère (Vanessa Redgrave), psycho-rigide et impotente, hait la lutte, qu’elle considère dédaigneusement comme dégradante. Mais le petit John n’en a cure et compte bien lui prouver qu’il est capable de grandes et belles choses qui émerveilleront l’Amérique tout entière.

Foxcatcher-Steve-Carell

Enfoncé dans un canapé en tissu écossais, John E. du Pont (Steve Carell) va faire à Mark Schultz (Channing Tatum) des propositions que ce dernier ne pourra pas refuser.

Foxcatcher est ainsi une splendide confrontation entre deux mondes. Entre celui de John et de ses névroses (imbu de lui-même, il est collectionneur d’armes, cocaïnomane, philatéliste, ornithologue… et se qualifie modestement de philanthrope) et celui des deux frangins lutteurs élevés à la dure. Foxcatcher, au-delà de la performance des acteurs plus vrais que nature, au-delà de la fine analyse des relations entre un pseudo-entraîneur et des lutteurs au regard bovin qui peuvent être ambiguës (et qui n’auront pas été sans nous rappeler cet autre biopic, Ma vie avec Liberace, de Steven Soderbergh, avec un éblouissant jeu pareillement étrange entre Matt Damon et Michael Douglas), au-delà de la fidèle reproduction de compétitions internationales comme ces championnats du monde de Clermont-Ferrand en 1987, Foxcatcher, donc, est une formidable occasion de s’interroger sur ce qu’on peut conquérir, sur ce qu’on peut s’approprier et sur ce qui nous échappera toujours.

Foxcatcher – Drame (biopic) américain de Bennett Miller – Avec Steve Carell, Channing Tatum, Mark Ruffalo, Vanessa Redgrave – Durée : 2h14 – Prix de la mise en scène au festival de Cannes 2014 – Sortie en France le 21 janvier 2015

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