Fanon : sur le fil de nos consciences

Premier film de fiction consacré à Frantz Fanon, le biopic qui porte son nom réalisé par Jean-Claude Barny tente de s’imposer sur les écrans en toute indépendance.

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Quand elle n’est pas occupée à taper des textes à la machine sous la dictée, Josie, la femme de Frantz Fanon, fume parfois quelques clopes.

Difficulté de projection, refusés par certaines salles ou le réseau MK2 : serait-ce parce que le biopic consacré à Frantz Fanon (1925-1961) se concentre sur une partie de sa vie avec un sujet qui fait toujours crisser les dents de certain·es comme un caillou oublié dans la salade : la guerre d’Algérie ? « Le racisme n’est pas une constante. Il est, nous l’avons vu, une disposition inscrite dans un système déterminé. Et le racisme juif n’est pas différent du racisme noir. Une société est raciste ou ne l’est pas », écrivait Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs en 1952. C’est l’un des sujets majeurs qui traversent le film, du racisme d’une peau de banane jetée à la figure de Fanon qui arrive en tant que médecin-chef à l’hôpital psychiatrique de Blida en Algérie en 1953 et régulièrement traité de nègre, à celui qui pèse sur les Algériens, alors sous colonie française, traités de crouilles, patients déshumanisés au sein de l’hôpital ou froidement abattus en plein village.

« Le monde colonisé est un monde coupé en deux. La ligne de partage, la frontière en est indiquée par les casernes et les postes de police. Aux colonies, l’interlocuteur valable et institutionnel du colonisé, le porte-parole du colon et du régime d’oppression est le gendarme ou le soldat. »

« Dans ses muscles, le colonisé est toujours en attente. On ne peut pas dire qu’il soit inquiet, qu’il soit terrorisé. En fait, il est toujours prêt à abandonner son rôle de gibier pour prendre celui de chasseur. » Les Damnés de la terre

C’est dans ce contexte que Frantz Fanon écrit Les Damnés de la terre, qui paraîtra en 1961, préfacé par Jean-Paul Sartre, et devenu un ouvrage de référence dans la pensée décoloniale et dont plusieurs phrases émaillent le film. La pensée de Fanon garde l’angle du psychiatre, mettant l’homme et ses maux au premier plan, ce que le film, judicieusement, n’efface pas, notamment lorsque celui-ci, joué avec brio par Alexandre Boyer, soigne le sergent Rolland (Stanislas Merhar). Scènes qui retracent l’oppression militaire et coloniale, tentatives de repenser le traitement des malades psychiatriques, flashback en Martinique dans la mangrove : le biopic fictionnel donne en tout cas à voir une bonne partie de la vie de Fanon et de cette période de l’Histoire. Certain·es regretteront que le film n’aille pas assez en profondeur dans les réflexions philosophiques. Pour notre part, nous trouvons qu’il s’agit d’une bonne porte d’entrée pour s’intéresser au sujet. Et par les temps qui courent, c’est déjà beaucoup.

 


Pour aller plus loin :

Fanon hier, aujourd’hui, documentaire d’Hassane Mezine, France-Algérie, 2019.

Frantz Fanon, trajectoire d’un révolté, documentaire de Mathieu Glissant, Audrey Maurion, 2021.

Les Damnés de la terre, Frantz Fanon, 1961.

Discours sur le colonialisme, Aimé Césaire, 1950.

On peut aussi entendre le nom de Fanon dans quelques titres de rap français : « La France a des problèmes de mémoire // Elle connaît Malcolm X mais pas Frantz Fanon »  dans « Problèmes de mémoire » par Rocé, ou ici : « Et les touristes aux seins nus à la plage des Salines // Pendant que la crise de la banane s’enracine ? // Connais-tu Frantz Fanon, Aimé Césaire // Eugène Mona et Ti Emile ? » dans « Chez moi » de Casey, ou encore « Qu’as-tu à dire à ces corps pris pour chair à canon // À ces damnés d’la terre chers à Frantz Fanon » dans « Nature morte » par La Rumeur.

 

Fanon – Un film de Jean-Claude Barny – Avec Alexandre Bouyer, Déborah François, Stanislas Merhar – Durée : 2h13 – Sortie : 2 avril 2025

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