Le festival de musique contemporaine Autres mesures fête en ce début 2025 ses 10 ans d’existence. Jean-Sébastien Nicolet, l’un des deux programmateurs, répond pour l’occasion à nos questions, concernant cet événement qui prend place à Rennes du 10 janvier au 2 février.
Pour celles et ceux qui ne le connaissent pas, comment résumeriez-vous le festival Autres mesures et son parcours ?
Je ne suis pas à l’origine du festival mais Melaine Dalibert lui l’est. L’ADN du festival est de donner à écouter et voir des concerts de musiques contemporaines dans toute ses acceptions possibles : musiques écrites de répertoire, musique de création, folklores revisités, musiques sérielles, ambiant, répétitives, drones… les musiques électroniques, l’improvisation, les nouveaux jazz… dans des lieux de notre ville de Rennes en formulant un parcours au sein de nombreux établissements culturels de la ville. Beaucoup des concerts sont offerts (gratuits et dans la limite des places disponibles, ou sinon à bas tarif).
Le festival fête ses 10 ans d’existence, quels ont été les leviers pour permettre sa durée dans le temps ?
Le festival tient majoritairement sur l’énergie bénévole des membres de l’association. J’ai rejoint l’association il y a 5 ans, avec pour objectif de pérenniser le festival, de l’installer durablement sur le territoire breton et aussi de le professionnaliser. Les leviers sont à un moment forcément financiers aussi et le festival ne pourrait pas avoir lieu sans le soutien des lieux qui nous accueillent, les autres événements du territoire avec qui nous faisons organisation commune (Travelling, Les Tombées de la Nuit, Waterproof) et donc les partenaires publics (Ville de Rennes, Région Bretagne, DRAC Bretagne…). Nous sommes à un moment de césure budgétaire au niveau national, je crois nécessaire d’affirmer plus fortement aujourd’hui que ces soutiens sont essentiels pour continuer de proposer un événement tel que le nôtre, dédié à la découverte, à des répertoires et des artistes peu mis en avant.
« les musiques dites contemporaines regroupent aujourd’hui tellement d’obédiences qu’elles sont déjà parmi nous dans de nombreuses autres musiques »
L’appellation « musiques contemporaines » pourrait refroidir certaines personnes. Quelles portes d’entrée leur suggérez-vous ?
C’est une question récurrente qui nous est posée. J’ai l’impression à titre personnel que les musiques dites contemporaines regroupent aujourd’hui tellement d’obédiences qu’elles sont déjà parmi nous dans de nombreuses autres musiques, dans la pop musique, les bandes son de films etc. Avec le festival Autres Mesures on cherche à stimuler la curiosité, favoriser son accessibilité mais aussi à proposer des clés de lecture que ce soit en proposant des concerts à des horaires inhabituels, avec des tarifications basses et des concerts offerts, avec des ateliers, des conférences… Et nous sommes attentifs aussi à la réception publique, on ne cherche pas à « capturer » les gens et les garder absolument devant un concert, la déambulation est aussi possible, ne prendre qu’un moment de concert et partir est aussi une pratique que nous entendons et comprenons (on note bien que le public rennais est particulièrement curieux car iels sont très nombreux-ses chaque année à nous suivre, beaucoup de concerts sont complets).
La programmation est-elle pensée pour une accessibilité au grand public, comme notamment l’inscription d’événements dans des lieux assez variés ?
On n’a pas forcément de ligne directrice prédéfinie. On dialogue beaucoup avec les lieux, les artistes pour trouver le répertoire, le cadre de diffusion approprié. Le fait de jouer le concert du midi aux Champs Libres offre une fenêtre pendant la pause déjeuner pour écouter de la musique, de proposer de la musique dans un lieu d’exposition, de donner à voir aussi ce qui se passe dans les lieux… un parcours dans la ville, des repères comme des anniversaires sont aussi un bon moyen de mettre en avant un compositeur, un répertoire, une idée…
» (…) ce sont des emplois qui sont en jeu, des concerts et des créations qui n’auront pas lieu »
Il y a de nombreux remous politiques, et notamment début 2025 le vote d’une énorme coupe budgétaires dans les régions Pays de la Loire. Qu’est-ce que ça vous provoque comme réaction ?
À titre professionnel j’évolue dans la musique depuis près de 25 ans déjà et le « grand public » ne se rend pas forcément compte de l’importance des financements publics directs et indirects qui font qu’un répertoire, un artiste, un lieu, un festival peuvent exister et faire vivre beaucoup de monde autour (pas que dans le domaine culturel, par ex., les hôtels, la restauration, les fournisseurs…). Lors de mes (lointaines) études, nos profs nous disaient souvent que sans subvention une place pour l’Opéra Bastille à Paris par exemple coûterait autour de 1 000 €, rendant inaccessible ces spectacles au plus grand nombre. Nous avons défendu en France depuis Malraux une politique d’exception culturelle et défendre les droits culturels pour tous les citoyen·ne·s qui se trouvent soldé·e·s assez violemment par des décisions comme celles de madame Morançais. Car ces décisions, sans concertation (il faut le rappeler), sont avant tout idéologiques, politiques et médiatiques, déconnectées de la réalité du territoire dont elle a la charge et non au nom d’une « nécessaire » cure d’austérité, puisque d’elle-même elle dit couper le budget plus que ce qui lui est demandé. Faire de la politique c’est faire des choix concertés, réfléchir au bien commun, aux services publics d’une population…
Les répercussions sur la décennie à venir pour le territoire de Loire-Atlantique et ses habitants seront lourdes. Avec ses coupes imposées dans des délais très courts pour certaines structures, ce sont des emplois qui sont en jeu, des concerts et des créations qui n’auront pas lieu, des publics (notamment en milieu scolaire) qui ne seront pas sensibilisés et la place nette est ainsi faite à l’entertainement, aux industries culturelles à vocation commerciale… Madame Morançais préfère défendre un patrimoine historique questionnable comme le Puy-du-Fou. Et encore là je n’évoque que la culture, mais ses coupes vont aussi sur le Planning familial, l’égalité Femme/Homme (dont elle fut en charge avant de prendre la présidence de Région…), la jeunesse, les sports, la littérature, les lycées, les transports… C’est une catastrophe sur le fond comme dans la forme.
Votre dernier coup de cœur musical ?
Mon dernier live coup de cœur était assurément l’artiste sarde Daniela Pes qui a jouée aux Trans Musicales de Rennes. Mon dernier disque, la rencontre entre la chanteuse synth pop dada Marie Klock et la musique anatolienne revisitée d’Anadol « La grande accumulation », beaucoup d’humour, de rêveries enfantines et cauchemardesques en même temps.